Théo. – Qu’as-tu appris avec ton maître de méditation quand il t’a permis de devenir un guide ?
L’Ancien. – Ce que j’ai appris d’essentiel c’est d’avoir toujours dans l’esprit et le cœur, le But de l’existence humaine de l’aspirant qui médite en face de moi.
Immédiatement Théo capte le message et sent la prière s’élever en son cœur. Il ressent l’état requis pour guider un méditant et le savoure pleinement.
Quelques minutes plus tard il poursuit sa réflexion à voix haute :
– Quand j’ai débuté la méditation, tu m’as enseigné la communication de cœur à cœur qui s’est approfondie avec la communication d’âme à âme. Au début j’ai compris d’âme individuelle à âme individuelle (jivatman), puis tu as introduit la notion de maître intérieur, d’atman (âme impérissable). Ensuite quand nous avons abordé les trois niveaux de libération, ma compréhension a encore fait un pas. Finalement, si j’ai bien suivi la démarche, je pense que tu fixes simplement ton mental sur le Centre, le Divin, dans le méditant, non ?
L’Ancien. – En fait, c’est le divin en moi qui se met en communion avec le divin dans le cœur de l’aspirant et ce lien est maintenu en permanence.
Théo. – Et tu n’as jamais l’impression qu’il s’arrête ou qu’il s’interrompt ?
L’Ancien. – Dans ce cas tu peux l’établir à nouveau sous la forme d’un sankalpa (suggestion subtile).
Théo. – Ça paraît simple …
L’Ancien. – Mais attention, cela n’est vraiment possible que lorsque tu es toi-même profondément ancré en ton centre, en union avec le Divin. Ce n’est que dans cette condition que tu peux solliciter le Divin, le But Ultime dans le cœur de l’aspirant.
Théo. – Cela se fait tout seul ?
L’Ancien. – En fait le début de la méditation et la connexion qui s’ensuit sont un simple rappel de la connexion établie lors de l’initiation à la méditation au cours des trois méditations d’introduction proposée à tous les débutants. Je ne commence pas le travail tant que cela n’est pas en place.
Théo. – Pourquoi ?
– Parce que je suis paresseux alors je préfère avoir la totalité du divin pour effectuer le travail plaisante l’Ancien.
Théo. – C’est le maître intérieur qui prend les commandes ?
L’Ancien à son habitude ne répond pas directement. Il rejoint son Centre et y plonge profondément. Théo a compris, il le sent aussitôt en lui : l’expérience du Divin, ça ne s’explique pas… ou dans un deuxième temps !
Cette connexion immédiate lui en rappelle une autre :
– C’est comme la prière du Sahaj Marg que nous récitons intérieurement avant de méditer: elle nous connecte au Centre via notre maître intérieur.
L’Ancien. – La transmission est le souffle divin (prana), le Verbe qui vient directement de Dieu. Il est comme un faisceau porteur qui nous aide à le rejoindre. Il crée aussi une voie directe (yatra) qui mène à Dieu, au Centre en nous.
Théo. – Si je comprends bien, le niveau de travail dépendra de mon niveau de retrait face au Divin.
L’Ancien. – Mais aussi de l’intérêt, de l’attention que tu porteras à l’aspirant.
Théo. – J’ai une pensée étrange : quand tu cherches le divin dans le méditant, le divin est connecté au Divin. Peut-on dire alors qu’il y a un travail ?
L’Ancien. – Cela se fait. C’est la « non-action », « L’action sans action » dont parle Babuji et qui dans la Bhagavad Gita est appelée « akarma ».
Théo. – Ah oui, je me souviens de la formule que tu avais donnée :
karma + vikarma = akarma.
L’Ancien. – Exactement :
– Ici l’action, le karma, c’est la pratique de la méditation.
– Le vikarma, c’est l’intention intérieure.
– Akarma, c’est « la non action » ou « l’action sans action » qui en résulte.
Théo. – L’Action intérieure que Daaji a appelé Amour.
L’Ancien. – C’est aussi le sankalpa (suggestion). L’association de karma et de vikarma produit la non-action, akarma, qui est illimitée. Elle est purement divine. Le travail qui se fait alors sur l’aspirant ou le disciple est sans limite, infini.
Théo. – Et génère cette énergie infinie appelée « pranahuti ». C’est un travail de maître !
L’Ancien. – C’est la raison pour laquelle dans le Sahaj Marg, c’est le cœur du Maître qui capte pranahuti et le transmet au guide et au méditant.
Théo. – Le cœur du Maître est purement divin…
L’Ancien. – C’est la raison pour laquelle il est dit que c’est « le Maître dans le guide » qui doit faire le travail spirituel. C’est le niveau requis pour que le travail soit excellent.
Théo. – Je commence à mieux saisir le concept de non-action-action (akarma). En bref, le guide doit agir, sinon il ne se passera rien.
L’Ancien. – En effet, pas d’action, c’est de la paresse, c’est « tamasique » et la Bhagavad Gita nous rappelle que « l’action est supérieure à l’inaction ». Il s’agit de bien comprendre la différence entre inaction et « non-action-action » comme tu dis. A l’inverse il existe aussi le guide « rajasique » : très actif, il fait tout par lui-même. Il veut du résultat immédiatement. Pour cela, il applique scrupuleusement les techniques de raja-yoga enseignées par nos Maîtres.
Théo. – Quels résultats obtient-il ?
L’Ancien. – Ils sont partiels. Ils dépendront alors du niveau spirituel du guide . Il aura plutôt tendance à donner ce qu’il a, à partir de ce qu’il est.
Théo. – J’ai reçu des satsanghs de tels guides et cela marche pourtant merveilleusement bien.
L’Ancien. – Il suffit que dans le groupe des méditants, certains sollicitent le Maître dans le guide pour que le Maître intervienne.
Théo. – Tu veux dire que la force, l’intensité de l’aspiration du guide dépend des méditants qui sont assis face à lui ? Qui aide qui alors ?
L’Ancien sourit :
– Je me souviens de Manapakkam où quelquefois notre Maître, Chariji, venait juste de finir la préparation d’un guide et sans lui donner aucune indication technique, envoyait le pauvre débutant ou débutante conduire la méditation face à trois ou quatre mille méditants.
Théo. – Que se passait-il alors ?
L’Ancien. – C’était l’expérience marquante de leur vie. Il n’y avait pas autre chose à faire que de laisser le Maître intérieur conduire la méditation : après un moment de panique tout naturel, le guide savait définitivement ce que c’est de s’effacer face au Maître afin qu’il fasse le travail spirituel.
Théo. – Et que se passe-t-il pour eux ensuite ?
L’Ancien. – Comme pour toi, ils reçoivent une formation théorique et technique qu’ils vont appliquer méticuleusement, mais ils auront la nostalgie de cet état d’ignorance qui les avait fait s’abandonner au Maître et dont les effets étaient fantastiques… divins.
Théo. – Peuvent-ils retrouver cet état ?
L’Ancien. – Tout comme toi, ils apprennent par l’expérience directe. Le Maître intérieur guide et enseigne.
Théo. – Mais alors pourquoi vikarma, l’intention intérieure, est-elle si importante ?
L’Ancien. – C’est parce qu’elle porte sur la finalité du travail, le But Ultime, associé au frère ou à la sœur assis les yeux fermés en face de nous. Par moments, le guide peut se laisser emporter par la transmission, il entre alors en profonde méditation (samadhi). C’est l’action (karma), mais sans intention (vikarma).
Théo. – Le méditant ne reçoit rien alors ?
L’Ancien. – Le guide étant en samadhi, le Maître perçoit directement l’appel de l’aspirant et y répond directement sans passer par le guide.
Théo. – Cela semble super !
L’Ancien. – Oui et non, car le travail nécessaire de cleaning (nettoyage-régénération) n’aura pas eu lieu. Il faut l’application de la volonté de l’enseignant pour qu’il soit effectif.
Théo. – Tout comme notre nettoyage journalier en fin de journée. Par moments, je tombe directement en profonde méditation sans que le cleaning ait eu lieu.
L’Ancien. – La transmission (pranahuti) doit être accueillie dans un cœur purifié, par des chakras purifiés. Autrement tu en connais les conséquences.
Théo. – Oui, la transmission renforce les tendances, car elle est neutre…
L’Ancien. – Tout a sa place, tout a sa raison d’être.
Théo. – C’est comme l’apprentissage d’un instrument de musique : au début on s’exerce, on fait des gammes encore et encore et un jour le professeur donne à son élève l’autorisation de s’exprimer librement…
L’Ancien. – … jusqu’à la maîtrise totale et la possibilité d’une créativité infinie.
Théophile l’Ancien
Extrait de Dialogues avec Théophile l’Ancien
L’initiation de Théophile le Jeune