Théo. – J’ai compris les étapes de l’avancée graduelle du yatra et le passage au travers de chaque région. Mais tu viens de me dire que c’est la Source divine elle-même qui nous aide, en allant à la rencontre de notre âme afin de la réintégrer en elle. Dans ce processus en quoi consiste notre travail de formateur ?

L’Ancien. – Travail est un grand mot, bien qu’il soit d’usage de l’employer. Notre existence est Une, mais elle est marquée par de nombreux événements, de nombreuses vies. Dans le temps, dit « vertical », tous ces événements sont présents en même temps : de l’origine de notre vie à la Réalisation de l’Ultime.

Théo. – Et dans notre actualité, nous nous trouvons à un certain degré d’existence.

L’Ancien. – La Source et le But sont UN. Nous en sommes totalement porteurs. Nous sommes aussi UN. Le travail spirituel consiste tout simplement à le réaliser, à le vivre, et c’est fait.

Théo. – Que faisons-nous alors pour aider l’aspirant ?

L’Ancien. – Nous le préparons à vivre cet instant béni, qui est déjà là. Nous dégageons l’âme (atman) de toutes les enveloppes d’illusion qui pourraient lui faire croire qu’elle n’est pas ce UN, cette Source, cette Origine, ce But… l’Ultime.

Théo. – C’est là et ce n’est pas là. C’est comme un saut quantique qui s’opère entre ces deux conditions. Je comprends mieux l’importance du nettoyage  (cleaning) : il permet de restaurer la condition originelle de chaque chakra, dans chaque région.

L’Ancien. – Nous travaillons simultanément dans le temps qui passe et le temps vertical.

Théo. – Il n’y a plus d’obstacle alors.

L’Ancien. – Non, mais une lente maturation de l’être et des libérations successives de l’âme (atman) et de ses réalisations jusqu’à ce qu’elle assimile sa véritable condition, qui est purement divine.

Théo. – Cela signifie que nous portons en nous l’entière création.

L’Ancien. – Nous sommes cette création. Tout notre espace intérieur appartient au Seigneur. Nous sommes le Seigneur.

Théo. – Cela suppose la disparition de l’ego (ahamkara).

L’Ancien. – Il a été intégré par le Seigneur. Il fonctionne parfaitement sous l’égide de la Volonté et de l’Amour du Seigneur pour toutes ses créatures, toute sa création.

Théo. – Et, quel en est l’impact pour le formateur ?

L’Ancien. – Quand nous travaillons sur un aspirant, c’est le Seigneur qui agit sur lui, en lui.

Théo. – Et pratiquement ?

L’Ancien. – C’est un peu comme dans Ho’oponopono. Tu libères en toi ce qui est emprisonné, ce qui n’est pas à sa place. Tu n’as plus l’impression de travailler sur l’aspirant.

Théo. – Il faut une sacrée dose d’oubli de soi ! Et comment se produisent les transformations spirituelles et l’avancement de l’âme sur le chemin du yatra ?

L’Ancien. – Par résonance… par la résonance du Seigneur en soi.

Théo. – Explique-moi la résonance, comment l’utilises-tu ?

L’Ancien. – En moi je passe d’un chakra à l’autre, du point 1 au point 13, avec la suggestion que chacun d’eux travaille naturellement en résonance avec ceux du méditant assis en face de moi.

Théo. – Et pour un groupe de méditants ?

L’Ancien. – C’est exactement la même chose. Il y a l’avancée du yatra en moi, qui est en résonance avec les chakras des méditants.

Théo. – Mais ils sont tous à des degrés différents !

L’Ancien. – Cela n’a pas d’importance, le travail se fait de lui-même en résonance avec le besoin de chaque aspirant. Le dosage est parfait, optimum.

Théo. – De cette façon, tu peux faire méditer tous les niveaux spirituels en même temps du débutant jusqu’au disciple ?

L’Ancien. – Oui, mais sans faire les distinctions que tu viens d’exprimer.

Théo. – Ton regard est posé sur le Seigneur et rien d’autre, sans distinction aucune ?

L’Ancien. – C’est l’akarma et l’action du Seigneur est infinie.

Théo. – Finalement, c’est nous qui mettons des limites.

L’Ancien. – Notre existence dans ce monde, dans le temps, nous impose ses propres limites. Un bébé mettra toujours neuf mois à se former dans le ventre de sa mère, puis le reste de sa vie pour réaliser…

Théo. – … Sa destinée ? L’Ultime ?

L’Ancien ne répond pas laissant Théo visualiser la vie d’un être, du physique jusqu’au cosmique, tout entière issue du Divin.

Le jeune homme entre de lui-même dans le Silence … Quand il juge le moment opportun, il demande à l’Ancien :
– Comment as-tu découvert ce phénomène de résonance ?

L’Ancien. – En présence du Maître incarné.

Théo. – Pendant les méditations ?

L’Ancien. – Étrangement, j’en ai pris conscience en dehors des méditations lorsque nous étions assis autour de lui, dans un silence harmonieux et connecté.

Théo. – Comment en as-tu pris conscience ?

L’Ancien. – Par l’expérience : nous pouvions passer des heures ainsi en sa présence, sans bouger, sans parler, sans penser même, dans un profond bien-être, dans un équilibre parfait, dans un état de grande simplicité sans nom.

Théo. – Qu’est-ce que c’était ?

L’Ancien. – La condition du Maître, le Centre manifesté, incarné.

Théo. – Vous étiez dans la région centrale ?

L’Ancien. – Chaque fois ou presque. Il y avait souvent un petit malin pour rompre ce moment divin, pour demander par exemple : « Quand est-ce que vous nous donnerez une méditation, Maître ? » Alors, parfois il arrêtait tout pour conduire une méditation de groupe (satsangh).

Théo. – Je soupçonne qu’il s’assurait de votre silence et de votre pleine réceptivité.

L’Ancien. – A certains moments, la Grâce descendait en sa présence.

Théo. – A cause de votre réceptivité ?

L’Ancien. – Plus sûrement à cause de lui. La Grâce a besoin d’une extrême pureté pour descendre. Je ne vois alors que le Maître. Il a mis son cœur en résonance avec les nôtres.

Théo. – C’est peut-être votre maître intérieur qui a permis cela pour le groupe présent ?

L’Ancien est rêveur :
– Peut-être … Quand la pluie tombe, elle arrose tout, autour…

Théo. – As-tu d’autres souvenirs de moments exceptionnels ?

L’Ancien. – J’en ai de très nombreux car la présence du Maître, sa condition spirituelle, déclenchent souvent la grâce et nous en bénéficions tous, quelles que soient notre condition et notre propre avance du yatra de l’âme. Je me souviens d’une expérience toute spéciale. C’était pendant l’inauguration de l’ashram de Satkhol, dans les collines himalayennes. Toutes les personnes invitées étaient très dévouées à la Mission de notre Maître. Il prononçait un discours dans le hall de méditation et je l’ai vu avec mon œil intérieur. Il était d’un blanc éclatant, surnaturel. Je lui ai demandé plus tard ce que c’était. Il a répondu : « La pureté. » Je voyais mon Maître comme le Seigneur, et c’est comme cela que la grâce avait coulé à flots sur chacun des participants.

Théo. – La condition de Seigneur attire la grâce ?

L’Ancien. – Quand le Maître s’efface et laisse la place au Seigneur, Il « est » le Seigneur, et la grâce l’accompagne naturellement.

Théo. – Et cela arrive souvent ?

L’Ancien. – Rétrospectivement, je pense que oui, mais souvent nous ne le savions pas, seuls ce silence spécial en sa présence, la suspension de nos pensées et un profond bien-être en étaient les signes.

Théo. – Une forme de samadhi, les yeux ouverts.

L’Ancien. – Tu as raison. Il nous entraînait au sahaj-samadhi car il n’était pas bienséant de fermer les yeux et de méditer en la présence du Maître sans y avoir été invité. Mais parfois nos yeux se fermaient tout seuls sous l’effet de la transmission.

Théo. – C’était le signe qu’il travaillait sur vous ?

L’Ancien. – Je me souviens de Babuji regardant quelqu’un brièvement : il ne fixait jamais personne longtemps, c’était sans doute impoli dans sa culture; mais dès lors qu’il avait posé ce bref regard sur une personne, la connexion intérieure donnait aussitôt le signe du démarrage d’un travail spécifique. De fait, quand la grâce tombait, la transmission et le travail semblaient suspendus. Le temps était arrêté, tout était arrêté en nous et la grâce descendait. Parfois le Maître l’indiquait, parfois non, mais rétrospectivement, je me suis rendu compte que cela avait lieu très souvent. Tous nos corps, physique, subtil, causal, étaient en parfaite résonance avec lui, avec les siens, et nous recevions la grâce.

Théo. – Cela durait-il longtemps ?

L’Ancien. – A ma connaissance, non. Dans le cœur du Maître, en permanence : autour de lui se déversait comme une bonne pluie régénérante.

Théo. – C’est pour cela qu’intuitivement les aspirants veulent être en présence du Maître.

L’Ancien. – Le maître dit qu’une transmission vaut mille méditations et qu’une grâce vaut mille transmissions. Je te laisse apprécier.

Théo. – Pourquoi cela a-t-il lieu dans les grands rassemblements ?

L’Ancien. – Pendant les bandharas (grandes célébrations spirituelles) la grâce coule à flots pendants les trois jours de la célébration.

Théo. – Pour quelle raison ce jour-là plutôt qu’un autre ?

L’Ancien. – Ce jour-là, le maître célèbre l’anniversaire de son Maître. C’est un acte d’amour accompli par un cœur parfaitement pur. Alors la Grâce descend et tous ceux qui sont présents physiquement en bénéficient.

Théo. – Et pour ceux qui sont absents physiquement, mais présents spirituellement par la pensée et le cœur ?

L’Ancien. – Ils bénéficient d’une transmission exceptionnelle relayée par des dizaines de milliers de cœurs, mais la Grâce c’est toujours en présence.

Théo. – Et quand tu es totalement en « Présence » ?

L’Ancien. – Qui sait ? Quand nous sommes en parfaite résonance avec le Maître, tout notre être, tous nos chakras le sont. Nous recevons alors la totalité du Maître. Il se donne entièrement, inconditionnellement, spirituellement à tous ses disciples. Ce qui est au Maître est au disciple.

Théo. – Ce qui appartient au Père, appartient au fils.
Pouvons-nous garder cet état ?

L’Ancien. – Malheureusement pas longtemps. J’ai observé que cet état s’estompe vite.

Théo. – Seul le Maître peut le conserver ?

L’Ancien. – Seul le Maître en toi peut le conserver : tout dépend si notre cœur est devenu celui du Maître ou s’il est encore le nôtre.

Théo. – Nous y travaillons.

L’Ancien. – C’est le rôle du précepteur, un rôle de préparation. Le Maître est d’abord en visite amicale dans nos cœurs. Les satsanghs et les méditations individuelles favorisent ces moments privilégiés. Ensuite, nous invitons le Maître pour de longs séjours dans notre cœur, et à la fin, il y reste en permanence … à un moment béni, quand il accepte l’invitation.

Théo. – Et ?

L’Ancien. – Cela se vit intérieurement. C’est intime. C’est sacré.

Théo, songeur :
– En tant que précepteurs, nous devrions œuvrer à partir de cette condition non ?

L’Ancien, souriant :
– Chacun de nous s’y efforce. Etre un précepteur est un potentiel. Comme toutes choses dans le Sahaj Marg, ce potentiel devra s’épanouir et se déployer afin que, lors de toute transmission, le maître intérieur soit seul aux commandes.

– Alors cela devient « une grâce »… conclut Théo pensif.

A suivre…

Théophile l’Ancien
Extrait de Dialogues avec Théophile l’Ancien
L’initiation de Théophile le Jeune