Comment atteindre la libération ? Quelles sont les différents étapes de la libération sur le chemin initiatique ? Comment approcher l’universalité et réaliser l’union au Divin ?
Dans cet article Théophile l’Ancien retrace le cheminement de l’âme vers la perfection et la fusion dans le Divin.
Libérer le Divin en soi
La plupart des gens se préoccupent de la libération comme un but en soi, une façon pour l’âme de sortir de la roue des réincarnations, d’en avoir fini avec « l’école de la Terre ». C’est une vision restrictive du chemin à parcourir. Le plus important n’est pas de se réincarner ou pas, mais plutôt de réaliser totalement ce que nous sommes « réellement ».
Nous avons été créés à l’image de Dieu, en miroir pourrions-nous dire. Or l’homme pense à l’inverse que Dieu est fait à son image, il le personnalise et lui confère tous les attributs humains. Les innombrables dieux grecs, avec toutes les qualités et les défauts propres à l’humanité, ne font que s’affronter et se comporter comme nous le faisons depuis des millénaires. Les religions animistes peuvent avoir jusqu’à cinq-cents dieux, chacun représentant une force de la nature, un élément redouté ou apprécié. Cependant, toutes ces traditions se refèrent à un dieu, une force ou énergie qui se situe au-delà de toute conception, un indéfinissable qui est à l’origine de tout ce qui existe. Il est certes difficile, voire impossible, de concevoir ou même de parler du Dieu créateur ou du Dieu incréé.
Cela échappe à nos critères… mais pas à l’expérience. Chacun, en effet, peut expérimenter le Centre en lui-même, chacun peut y accéder directement par la voie de la méditation. Si on ne peut pas voir Dieu, on peut le percevoir. On peut expérimenter, ressentir sa présence en nous. Dans l’islam, il est demandé de ne pas représenter Dieu. Cela peut être interprété comme une invitation à trouver Dieu au-delà de la forme et des apparences, au-delà de toutes nos projections. Le plus beau message du prophète est d’affirmer que chacun peut avoir un lien direct avec Dieu.
A quel moment sommes-nous en lien direct avec Dieu ? Au niveau du point lumineux qui est le centre du Centre, celui que nous trouvons au centre de la deuxième étoile du symbole ésotérique. Pour bien comprendre ce qu’est la libération, la véritable libération, il nous faut envisager trois niveaux progressifs et successifs.
Première niveau : l’âme se libére des samskaras
Au premier niveau, l’être affronte ses tendances qui sont directement liées aux cinq éléments de la sphère de la manifestation. Il subit directement les effets de ses samskaras, toujours soumis à la loi de cause à effet. Sa maturité de conscience ne lui permet pas de comprendre le sens de sa vie et des évènements qu’il rencontre. Le travail ne fait que commencer pour lui.
La libération est atteinte quand il franchit la sphère de la manifestation. Il entre alors dans la dimension cosmique, qui correspond à ajna–chakra, c’est-à-dire aux points 6 et 7. Grâce à son maître spirituel, il passe d’une dimension à une autre, cela ressemble à un saut quantique. Il a alors une approche de la région cosmique, royaume de Dieu, mais il subit toujours les effets de l’attraction terrestre et des éléments qui la constituent. Il lui appartient désormais d’apprécier et d’intégrer ce qui lui a été accordé.
En lui, l’âme, l’atman, commence à diriger sa vie pour lui permettre d’accomplir sa destinée et de réaliser ce pourquoi il est incarné. Jusqu’à présent il subissait sa vie, maintenant il se doit de la diriger à partir de l’âme. C’est un long apprentissage que de laisser son âme guider sa vie et souvent les tendances, tels de vieux démons, reviennent à la charge pour tenter de reprendre le contrôle. La chute spirituelle est toujours possible…
Au moment de la mort, si l’âme s’abandonne complètement au Divin et se laisse emporter, alors la libération devient effective. Sinon, après un moment plus ou moins long de repos, de régénération et d’aprentissage, l’âme se constitue une nouvelle personnalité pour accomplir la destinée qu’elle se sera fixée avec l’aide de son guide. Celui qui a déjà atteint la région cosmique n’a plus à revenir sur terre : il est réellement libéré et va poursuivre son évolution sur d’autres plans d’existence, à moins qu’il ne choisisse de revenir sur Terre pour aider l’humanité.
Il a parcouru le long chemin symbolisé par les cinq chakras de la région du coeur. Chacun des centres a été nettoyé. Les sirènes de la terre, de l’eau, du feu, de l’air et de l’éther n’ont plus prise sur son être. Il est libéré des effets karmiques dûs aux samskaras et à son incarnation. Il est dit « libéré vivant » (jivan-mukti). Mais son voyage ne fait que débuter…
La conscience s’éveille
L’aspirant peut désormais naviguer vers la deuxième étape. A ce stade, il pense constamment à la libération de Dieu en lui-même. C’est à ce niveau que Babuji parle des onze cercles de l’ego. Parler d’ego peut sembler paradoxal : pourquoi l’ego serait-il encore actif à ce stade ? Comment peut-il encore y avoir de nombreuses chutes spirituelles de la part de personnes considérées comme des maîtres, voire comme des saints ?
L’aspirant accède à une grande source de pouvoir : il devient capable de faire des miracles, de lire les pensées, d’entendre et de percevoir par ses sens « extra – ordinaires ». Il accède à une connaissance supérieure infiniment puissante. C’est un grand risque pour lui, le plus dangereux qui soit, celui de se prendre pour Dieu lui-même. D’ailleurs, Babuji préférait sagement faire entrer ses disciples dans la région cosmique par Chit-lake ou point 7 car le point 6 ou ajna-chakra est le point où la puissance cosmique se déverse. Ainsi, l’homme garde la possibilité de se détacher, voire de se couper du Divin.
On pourrait appeler cela le « complexe d’Adam ». Quand Dieu a créé « l’homme universel », il l’a créé à son image dit-on, c’est-à-dire avec tous Ses pouvoirs. Adam s’est alors dit : « Je suis Dieu, je n’ai plus besoin de Lui, je peux créer mon propre royaume, à mon image, selon ma volonté. Je connais toutes les lois de la création, leurs principes, je possède aussi la connaissance universelle. Je suis l’homme universel à qui Dieu a tout donné. Je peux exister sans Lui. » C’est ainsi qu’il s’est affranchi de Dieu. C’est ce que la Bible a appelé « la chute de l’homme ».
L’homme ordinaire ne croit pas en Dieu, il vit comme s’il n’existait pas, au mieux il l’ignore, ne se rappelant à Lui que dans des situations extrêmes, ou encore pour Lui reprocher l’état du monde dans lequel il vit, ce monde qu’il a lui-même créé.
Nous sommes tous des Adams en manque d’universalité. Alors sommes-nous réellement coupés de Dieu ? Cela est impossible car Dieu est central : il anime toute la création, il est omniprésent. Nous avons juste perdu le contact avec cette Présence. Nous n’avons qu’à ouvrir notre conscience à cette énergie, à cette vibration qui nous anime et la laisser se développer en nous.
La méditation est un moyen très efficace.
Nous pouvons alors nous élever au premier degré de libération. A ce stade, le disciple a pris conscience de son universalité et des pouvoir auxquels il a accès. Il a alors deux possibilités : soit continuer à se tourner vers Dieu comme Source de tout, soit poursuivre son chemin (yatra) jusqu’à sa libération.
Deuxième étape : l’union avec Dieu
Le disciple a réussi ce que le monde chrétien appelle « l’union avec Dieu », ce que l’on nomme dans le raja-yoga « la réalisation complète du Soi », mais le danger réside dans le progrès même qu’il vient de faire. Il peut toujours s’égarer, exercer le pouvoir inhérent à sa condition en se disant : « Je vais faire le bien, rendre ce monde meilleur, redresser ce qui ne va pas ; je vais vous montrer ce que je suis capable de faire ; grâce à mon action les choses vont s’améliorer. »
C’est une forme de pouvoir de l’ego qui se pense tout-puissant et meilleur que Dieu. L’ego reprend le contrôle sous une forme plus subtile et veut lui aussi grandir en force et pouvoir. Notre Adam va travailler pour de grandes causes avec des leaders plus ou moins charismatiques. Le risque est grand de passer du charisme au fanatisme. Il n’a pas encore intégré que Dieu est déjà à l’œuvre en tout et partout, que le mieux est d’accepter d’être Son instrument, un instrument affûté, à Son service. Il doit apprendre à s’effacer… C’est pourquoi Saint Jean de la Croix conseillait de ne toucher à aucun pouvoir avant d’atteindre l’Union avec Dieu. Il disait : « Même si Dieu te parle, ignore-le, car tu ne peux pas savoir si c’est Dieu ou le malin. Et si c’est Dieu ? Il comprendra. »
Sur le chemin de Sahasra-dal-kamal (SDK) (le lotus aux mille pétales) le disciple va devoir traverser les onze cercles de l’ego dont parle Babuji. Être accompagné par un maître spirituel constitue le meilleur moyen d’éviter les pièges de l’ego. Gardien de l’âme tout autant que de l’ego, le guide spirituel va protéger le disciple des obstacles et l’aider à franchir les épreuves sur le chemin. Il poursuit son initiation bien sûr, mais surtout il le protège de lui-même, c’est-à-dire de son ego et de ses tendances. Quand le disciple s’abandonne avec foi et amour, le Maître veille sur lui. Le lien d’amour qui les unit ne peut pas être brisé, sauf si le disciple le décide. Le Maître n’en prendra jamais l’initiative. Il veille telle une mère sur son enfant, quoi qu’il fasse, quoi qu’il soit. Il l’accompagne dans l’adolescence spirituelle avec tous ses remous et l’amène ainsi à la maturité spirituelle. Le Maître a une patience et un amour infinis, à l’image de Dieu, si bien qu’inévitablement le disciple va devenir Amour. C’est toujours l’amour qui est le guide ; le disciple doit en avoir conscience et coopérer autant qu’il le peut. Le Maître possède une vision « extra-temporelle », il le connaît en tant qu’être réalisé. Il l’aide juste à devenir ce qu’il est de toute éternité : un être divin parfait.
« Devenir ce que nous sommes. » disait Babuji.
Nous sommes tous porteurs de cette perfection, car tous porteurs de Dieu, de la totalité de Dieu en nous-mêmes, au centre de notre être. Le Maître aide ce Centre à se déployer, à se répandre dans toutes les dimensions intérieures et lui permet d’y régner.
La fusion avec Dieu se réalise. Loin d’être une disparition comme le craint parfois l’ego, elle est une disparition de la dualité. Le Un n’a plus de deux, il absorbe tous les nombres à l’infini. C’est l’infinie expression de Dieu dans toute sa création. L’homme réalisé devient « l’Homme Universel ». Il est co-créateur avec Dieu, il contribue pleinement au processus de création en toute liberté… divine. Tout devient possible s’il laisse le souffle divin traverser son être, sans interférer. Il s’efface totalement pour incarner la Volonté Divine, volonté sans volonté, mais réalisatrice dans l’instant divin. La conscience divine est alors totalement éveillée.
Dans certains cas elle peut aussi se développer d’elle-même quand elle est accordée autrement. Mais c’est une autre histoire…
Théophile l’Ancien
Extrait de Dialogues avec Théophile l’Ancien
L’initiation de Théophile le Jeune