Théo. – Quelle distinction y a-t-il entre la condition spirituelle et la position spirituelle ?
Position spirituelle
L’Ancien. – Il peut s’écouler beaucoup de temps avant de connaître vraiment la position spirituelle d’un pratiquant. Babuji lui-même disait qu’il lui fallait un long temps d’observation avant de l’évaluer avec précision.
Théo. – Pourtant Babuji était un être exceptionnel, hors norme, il était clair-voyant, clair-audiant, en contact direct avec Lalaji, les Maîtres et les Saints. Comment expliques-tu ce paradoxe ?
L’Ancien. – Une carte des chakras et des régions spirituelles a été dressée par les Maîtres de sagesse depuis des temps immémoriaux. Une description précise a été faite de chaque chakra, de sa structure, de sa forme subtile.
Théo. – Une sorte de description anatomique des chakras ?
L’Ancien. – En quelque sorte. Le problème c’est que beaucoup croient travailler spirituellement sur un chakra alors qu’ils n’en touchent que la surface. Je me souviens d’un jour où nous regardions la vidéo d’un instructeur soufi. Il faisait travailler un chercheur sur les points et il les désignait du doigt, montrant l’avancée du yatra. Le commentaire de mon Maître a été : « Ce n’est pas spirituel, c’est psychique. »
Théo. – C’est-à-dire ?
L’Ancien. – Bien souvent le travail s’effectue seulement sur les niveaux inférieurs de l’âme : le niveau physique (annamaya-kosha), le niveau énergétique (pranamaya-kosha) et le niveau émotionnel. (manomaya-kosha), seule la partie superficielle des chakras est atteinte pas la partie spirituelle qui se situe à un autre niveau.
Théo. – Comment le savoir ?
L’Ancien. – L’observation. Mais, elle va dépendre de la capacité et de la nature de celui qui observe et de son propre niveau spirituel.
Théo. – Pourtant le niveau spirituel dépend du travail que le maître a fait sur le guide, et de la permission qui lui a été octroyée comme celle de la transmission de pranahuti. C’est aussi le Maître qui ouvre le canal qui va lui permettre de devenir instructeur.
L’Ancien. – Tout à fait. Il ouvre même les niveaux de conscience qui sont en relation avec les différentes régions, la plus haute étant la conscience divine. Mais elle n’est accordée que lorsque l’instructeur est prêt, et surtout si cela est nécessaire pour son travail. Une capacité donnée prématurément peut devenir un obstacle pour l’évolution de l’instructeur. S’il ne l’intègre pas correctement, il ne pourra pas l’utiliser de manière correcte.
Théo. – Pourrait-il en mésuser ?
L’Ancien. – Non, heureusement une protection est mise automatiquement par le Maître.
Théo. – Tu m’as déjà expliqué que les capacités ne devraient être utilisées que lorsque l’instructeur a réalisé Dieu (point 10). Cela veut dire que tant que les cercles de l’ego ne sont pas passés, l’ego peut encore reprendre le pouvoir avec toutes les conséquences que cela peut entraîner n’est-ce pas ?
L’Ancien. – C’est la raison pour laquelle le Maître encourage l’abandon de soi, la soumission ou l’obéissance. Cela bien compris permet de laisser le maître intérieur conduire le travail sans que l’ego puisse intervenir.
Théo. – Que peut faire l’ego ?
L’Ancien. – Il peut interpréter, colorer, vouloir influencer l’aspirant. Mais que savons-nous de ce que veut Dieu pour le chercheur de Vérité ? Que savons-nous du chemin qu’Il voudra lui faire emprunter ?
Théo. – Humilité, humilité, c’est là le secret. Malheureusement je ne sais pas si je suis capable d’être humble. Je veux tellement bien faire et surtout apprendre toujours plus, afin de servir de mieux en mieux !
L’Ancien. – La soif de connaissances est bonne car elle met surtout en lumière notre ignorance. L’humilité deviendra une conséquence logique.
– Je vois, plus tu sais, moins tu sais… Moi aussi je peux manier le paradoxe ! plaisante Théo pour taquiner l’Ancien.
– Tu deviens « un connaissant-ignorant » alors que tu étais un « ignorant-connaissant », répond l’Ancien en riant, heureux de son nouvel oxymore.
Théo piégé sourit et enchaîne en raisonnant à haute voix :
– Tu veux dire que la vraie connaissance provient de la non-connaissance, celle que Babuji appelait l’Ignorance avec un grand I ?
L’Ancien. – Il disait que nous débutons ignorants puis que nous devenons « connaissants » pour finir Ignorants.
Théo. – Ce n’est plus la même ignorance…
L’Ancien. – Cette Ignorance est liée à la conscience divine.
Théo. – Tu n’es plus rien donc tu es Tout. Ce Rien-Tout dont tu me parles depuis longtemps.
L’Ancien. – Tu as compris. Tout cela pour dire qu’il est difficile d’arriver à une conclusion définitive sur la position spirituelle d’un méditant.
Lecture de condition
Théo. – Et qu’en est-il de la lecture de condition ?
L’Ancien. – Ce n’est pas la même chose. Le guide a facilement accès à la condition spirituelle et la condition psychique du pratiquant dont il s’occupe.
Théo. – Comment s’y prendre ?
L’Ancien. – Avant tout, tu dois être capable de lire ta propre condition, mais cela nous le pratiquons depuis plus de deux ans. Tu n’as pas à t’en soucier. Au lieu de tourner ton regard vers l’intérieur, tu retournes ton regard intérieur vers le méditant qui est face à toi.
Théo. – Mon regard intérieur d’observateur vers l’intérieur du pratiquant ?
L’Ancien. – C’est cela. Tu as lu tout ce que nos Maîtres ont dit sur le Sahaj Marg. Tu as passé avec succès le test de connaissances du futur guide. Eh bien ! maintenant, tu dois tout oublier.
Théo. – Tout ? Mais pourquoi ?
L’Ancien. – Afin d’éviter de projeter cette connaissance sur le pratiquant. Même si nous passons par des chemins similaires, même dans notre voie, dans notre enseignement, chacun a sa propre approche de l’Ultime. Elle est unique, tout comme notre relation à Dieu est unique.
Théo. – Et pourtant, nous sommes tous un.
L’Ancien. – Oui, mais jamais uniformes ; même les entités spirituelles des grands maîtres restent uniques. Elles sont reconnaissables entre toutes, mais on ne saurait les distinguer de l’Unique, de Dieu.
Théo. – Même au plus haut niveau ?
L’Ancien. – Nous ne les différencions plus, mais sommes-nous capables de percevoir ce niveau et est-ce bien nécessaire ? De toute façon nous les distinguons seulement si ces grands maîtres ou seigneurs le souhaitent, s’ils l’autorisent, lorsqu’ils sont en mission pour le Seigneur, dans des plans plus denses.
Théo. – Peut-on les percevoir dans la région du cœur (pindesh) et dans la région cosmique (brahmanda-mandal) ?
L’Ancien. – Surtout dans le brahmanda-mandal. C’est là qu’ils résident quand ils sont en fonction. Venir dans notre plan d’existence est difficile pour eux.
Théo. – C’est la raison pour laquelle ils passent par les maîtres incarnés ?
L’Ancien. – Parce que ces maîtres sont devenus des instruments parfaits, pour de multiples raisons. Parfois même, certains des grands Etres se sacrifient et s’incarnent parmi nous pour nous guider.
Théo. – Pourquoi emploies-tu le terme de sacrifice ?
L’Ancien. – C’est un sacrifice qui provient de l’Amour. Imagine un être extrêmement subtil, parfait, qui doit s’incarner sur cette terre, parmi nous.
Théo. – Pas besoin d’imaginer. Sans être comme eux, pour moi la « gravité » terrestre et ses pesanteurs se font sentir tous les jours !
L’Ancien, accablé par la chaleur, se lève et se retire sans bruit, non sans avoir salué affectueusement son jeune ami. Théo regarde le vieil homme s’éloigner à petits pas et comprend encore mieux la notion de sacrifice…
Théophile l’Ancien
Extrait de Dialogues avec Théophile l’Ancien
L’initiation de Théophile le Jeune