Théo. – Quand tu m’as dit de m’en remettre au Maître intérieur, plusieurs choix me sont venus à l’esprit, le cœur et sa source de lumière, le Maître, le Maître intérieur. Toi-même tu évoques indifféremment le Maître, le Seigneur, Dieu. Que décider ? Que choisir ?
L’Ancien. – Ce qui émerge naturellement de ton cœur. Là encore ce n’est pas un choix provenant du mental, d’une décision. Un débutant va plus facilement méditer sur son cœur. Suivant sa philosophie, il préférera soit utiliser l’idée de la source de lumière dans son cœur, soit la lumière divine. Cela n’a aucune importance car son guide spirituel l’aura connecté au Centre, au cœur de son cœur, dès son initiation.
Quand tu allumes l’ampoule électrique, tu ne penses pas à la centrale qui fournit l’électricité. Tu allumes simplement l’électricité.
Une personne plus avancée dans le raja-yoga considérera son cœur comme son Maître intérieur. Elle prendra facilement son guide, son Maître vivant comme modèle.
Théo. – Si j’ai bien compris le Maître vivant devient le reflet du cœur, du Maître intérieur. Le disciple s’abandonne totalement, spirituellement à son Maître.
L’Ancien. – C’est une des méthodes les plus faciles pour développer rapidement l’abandon, Théo, surtout si elle est basée sur l’amour et la confiance. Elle n’opère réellement que si l’amour est présent. Le Maître est l’incarnation de l’Amour. Il fait en sorte que ton cœur devienne Amour lui aussi.
Théo. – La relation au Maître est une relation de cœur à cœur.
L’Ancien. – Rien d’autre.
Théo. – Donne-t-il aussi des conseils ?
L’Ancien. – Il donne surtout des directions. L’enseignement mental est secondaire. Le raja-yoga est la science de l’être.
– Devenir ce que l’on est déjà… de toute éternité… murmure Théo.
L’Ancien. – Au dernier niveau, il n’y a plus de distinction entre le cœur du Maître et le cœur du disciple.
Théo. – Que se passe-t-il alors ?
L’Ancien. – Le Maître a fini le travail qui lui a été confié par Dieu. Le disciple est alors en lien direct avec le Seigneur.
Théo. – C’est le deuxième niveau libération de l’âme (atman) dont tu m’as parlé, la recréation de Dieu.
L’Ancien. – Un autre grand voyage commence, sous l’égide du Seigneur, lui-même.
Théo. – Et où mène-t-il ?
L’Ancien. – A Dieu, au Centre ! Le plus difficile à comprendre, c’est que nous ne faisons rien. C’est Lui qui œuvre.
Théo. – A quoi sert le maître spirituel alors ?
L’Ancien. – Je dirais plutôt, comment fonctionne un maître ? Son travail consiste à se retirer complètement pour laisser la place au Seigneur.
Théo. – A quoi sert-il donc ?
L’Ancien. – Il est l’instrument parfait de Dieu. Le Seigneur utilise sa personnalité, ses particularités, pour établir un contact, une relation à un niveau humain. Le travail peut se faire naturellement à tous les niveaux de l’être.
Théo. – En résonance ?
L’Ancien. – Entre autres. Un maître utilise tous les outils possibles, tous les moyens à sa disposition pour servir son disciple et l’aider à progresser sur le chemin.
Théo. – Je me souviens qu’un jour tu as même évoqué l’injustice comme moyen, cela me laisse perplexe venant d’un maître.
L’Ancien. – Arrivé à un certain stade, le disciple peut être bloqué. Il fait tout très bien, tout semble être en place, pourtant il n’avance plus.
Théo. – N’est-ce pas toi qui fait l’éloge de l’immobilité ?
L’Ancien. – Le Centre est immobile. Il est donc ouvert sur l’infini, l’éternité. La périphérie, elle, est en mouvement, un mouvement infini.
Lorsqu’un disciple a franchi une étape, il y a comme un instant d’immobilité, mais c’est seulement la préparation pour le prochain saut quantique.
Théo. – Et le disciple ?
L’Ancien. – Il est figé, bloqué. Le plus dangereux, c’est quand il est emprisonné dans une sorte de nirvana, une extase de laquelle il ne veut plus sortir. Il a le sentiment d’être arrivé.
Théo. – Ce doit être un des onze cercles de l’ego dont parlait Babuji, c’est très subtil. Cela me fait penser à l’avadhuta évoqué par Babuji. Le chercheur est bloqué, dans une région, dans une sphère en lui-même.
L’Ancien. – D’où la nécessité, l’utilité d’un maître vivant. Quand il s’en rend compte, il va tout faire pour que le disciple sorte de sa prison spirituelle, pour le remettre en mouvement.
Théo. – C’est comme s’il était emprisonné dans un bloc de glace. Babuji a dit que des yogis pouvaient rester comme cela des milliers d’années.
L’Ancien. – Effectivement, tout est suspendu en eux et leur esprit est dans une extase permanente.
Théo. – Où est le problème ?
L’Ancien. – Ils ont oublié Dieu et sont encore en eux-mêmes.
Théo. – Comme des rochers.
L’Ancien. – Oui c’est ce qu’illustre la vie du Seigneur Krishna enfant quand on le voit déraciner deux arbres dans lesquels étaient enfermés deux esprits. Il leur accorde ainsi la libération. Une autre fois il fait de même en renversant un rocher, libérant encore un esprit emprisonné.
L’Ancien se lève pour saisir un magnifique livre sur la vie du Seigneur Krishna, laissant Théo perplexe et pensif.
Théophile l’Ancien
Extrait de Dialogues avec Théophile l’Ancien
L’initiation de Théophile le Jeune