Théo. – J’aimerais aller plus loin dans la manière d’accueillir une personne qui souhaite commencer la méditation et que l’on ne connaît pas du tout.
L’Ancien. – Il n’est pas nécessaire de connaître la personne qui est face à toi. Il te suffit d’être à son écoute, à la fois intérieure et extérieure. Tu peux simplement commencer par lui demander l’objet de sa démarche.
Théo. – Comme par exemple si elle est spirituelle ou si elle cherche seulement le bien-être ? Je peux lui demander si la notion du but ou de Dieu lui est familière ? Je voudrais aussi savoir si elle pratique une religion et ce qu’elle en pense. Nous pourrions aussi aborder ses lectures ou sa pratique spirituelle si elle en a déjà une…
L’Ancien amusé et riant lève la main pour arrêter le flot de questions de son jeune ami :
– C’est presque un interrogatoire de police ! Il faut être bien plus simple que ça : la personne te dit ce qu’elle veut. Ce sera exactement ce que tu as besoin de savoir, surtout si tu en émets l’idée subtile (sankalpa). Le plus important c’est ton écoute intérieure. Plus tu poses de questions, moins il t’est facile d’écouter intérieurement.
Théo. – Tu prônes donc le silence.
L’Ancien. – C’est toujours par le silence que l’essentiel survient. Cependant ne tombe pas dans l’excès inverse : si tu parais trop intériorisé la personne peut te trouver absent, voire distant et même hautain. Toujours être attentif à l’autre et s’ajuster à ses réactions.
Théo. – J’ai l’arme infaillible : la douceur du cœur. On peut réchauffer toute une salle grâce à elle. J’ai bien retenu la communication de cœur à cœur que tu m’as enseignée et je l’applique au quotidien. Dans ces moments-là, l’observateur en moi apparaît automatiquement.
L’Ancien. – C’est lui qui te permettra d’effectuer une bonne lecture de la condition du méditant assis face à toi.
Théo. – Cela suffit ?
L’Ancien. – Non, bien sûr, cette communication est très belle, mais il y a la suivante et encore la suivante.
Théo. – C’est-à-dire ?
L’Ancien. – Au deuxième niveau, ton âme est en communication avec l’âme du méditant. Elles font un échange d’informations et de cette manière si tu écoutes bien, tu sauras ce qui est nécessaire pour le méditant et son avenir spirituel.
Théo. – Comment saurai-je ce que je dois faire ?
L’Ancien. – Mon propre Maître un jour m’a éclairé sur ce point : « Quand tu rencontres quelqu’un, tu « l’absorbes » en toi, tu l’acceptes totalement, tu te soumets à lui en quelque sorte. »
Théo. – Et ensuite ?
L’Ancien. – Dans cet état tu sais parfaitement ce dont il a besoin et tu peux commencer le travail spirituel.
Théo. – Puis-je poser des questions ?
L’Ancien. – Ce ne sera pas nécessaire, l’âme sait, le reste serait de la curiosité inutile pour le travail que tu as à faire. Il est préférable que tu puisses entrer en contact avec le niveau suivant de communication, celui du Divin, celui du Seigneur. C’est un état de communion où le travail s’accomplit de lui-même dans le silence. Le Seigneur y est pleinement actif.
Théo. – Je deviens alors le spectateur de Son travail…
L’Ancien. – Et le témoin reconnaissant.
Théo. – Cela ne rassemble plus à du travail. C’est réjouissant !
L’Ancien. – Le fin du fin c’est lorsque tu ne fais plus rien : c’est le Seigneur qui œuvre à travers toi.
Théo. – Si j’ai bien compris, pour faire le travail de précepteur, je dois m’oublier moi-même.
L’Ancien. – L’oubli de soi est nécessaire pour ta propre évolution : tu t’oublies uniquement quand tu es totalement dans la Présence de Dieu, quand Il t’a complètement absorbé en Lui.
Théo. – C’est ce que je dis.
L’Ancien. – Pas tout à fait : pour faire le travail de précepteur, tu te dois d’être totalement présent au méditant et totalement effacé en même temps.
Théo. – Je ne comprends pas bien…
L’Ancien. – Babuji dirait : « Présent dans l’absence, Présent dans la Présence, absent dans la Présence » …
– Cela ne m’aide pas beaucoup, dit Théo visiblement agacé.
L’Ancien. – Tu dois être comme un miroir, totalement neutre. D’un côté, tu réfléchis la lumière divine vers le méditant, de l’autre, tu réfléchis sa condition spirituelle pendant qu’il est assis, les yeux fermés, en face de toi. Mais tu ne peux pas te laisser aller, ni te laisser emporter par la transmission et t’absorber comme tu le ferais si tu méditais seul.
Théo. – Je saisis mieux : l’observateur est là, vigilant. A ce moment-là, je suis une espèce de médiateur, interface entre le Divin et l’âme du méditant.
L’Ancien. – C’est ça. Rien en toi ne doit interférer. C’est la raison pour laquelle je propose l’effacement volontaire. Cela requiert de la volonté.
Théo. – Comment s’opère le travail ?
L’Ancien. – Tu perçois des zones d’ombre et de lumière dans la poitrine du pratiquant. Tu en connais déjà la carte et les caractéristiques (Les cinq points du cœur).
Tu émets la suggestion que les zones d’ombre…
Théo. – Qui sont les samskaras…
L’Ancien. – … sont nettoyées et font place à la lumière sous-jacente. Le point, le chakra reprend sa condition d’origine. Il est à nouveau pur. Le méditant est alors libéré des impressions qui alimentent des tendances plus ou moins positives.
Théo. – Est-ce que je peux aller plus loin ?
L’Ancien. – Tu peux regarder plus précisément où il y a le plus d’ombre, de complexités. Tu sais par exemple que le point n°3 est en relation avec la colère, mais je te le déconseille.
Théo. – Pourquoi ? C’est pourtant intéressant.
L’Ancien. – Si tu agis ainsi, tu perds ta neutralité en introduisant une curiosité. Tu n’es plus efficace, tu es moins miroir.
Théo. – Mais l’information pourrait m’être utile !
L’Ancien. – Dans ce cas, et si c’est nécessaire pour le pratiquant, elle apparaîtra d’elle-même. C’est le signe qu’elle va être traitée. Tu y portes ton attention comme avec une lampe-torche et le travail du Maître commence.
Théo. – Est-ce que je le vois ou cela se reflète-t-il sur moi ?
L’Ancien. – Les deux sont possibles, cela ne dépend que de toi. Certains préfèrent le ressentir sur eux-mêmes. Ils peuvent ainsi ressentir les sensations du méditant, parfois même les pensées et les émotions qui ont trait au travail en cours, mais cela n’est pas indispensable, ni automatique.
Théo. – On a intérêt à être vraiment neutres, sinon, gare aux projections, aux interprétations et même au jugement !
L’Ancien. – C’est pour cela que je préfère la lecture directe, mais dans tous les cas, il n’y a aucun jugement à émettre. Il y a une ombre, une perturbation, une complexité, peu importe sa nature. Il nous faut juste et simplement la nettoyer.
Théo. – Travailler dans cette non-conscience peut devenir lassant non ?
L’Ancien. – Pas forcément, car si tu ne connais pas la cause, tu perçois le résultat final et le pratiquant te donne en retour ses impressions. Au fil des séances, tu le vois se transformer, évoluer et c’est très agréable, voire gratifiant.
Théo. – Tu dis toujours qu’il ne faut pas s’inquiéter du résultat, qu’il appartient au Seigneur ?
– Un travail bien fait donne un résultat inéluctable. Tu peux donc apprécier le travail du Seigneur et t’en réjouir, réplique L’Ancien tout sourire.
Théophile l’Ancien
Extrait de Dialogues avec Théophile l’Ancien
L’initiation de Théophile le Jeune