Aujourd’hui Théophile l’Ancien est accompagné de son ami Malik qu’il veut présenter à Théophile le Jeune.
L’Ancien. – Je te présente mon jeune ami Théophile qui est très intéressé par la recherche spirituelle et voudrait approfondir la question de l’extinction selon la voie soufie qui est la tienne. Accepterais-tu de partager avec nous cette magnifique notion ?
Malik. – On ne saurait aborder cette question essentielle par la raison. L’intellect ne doit pas interférer.
Il poursuit lentement à voix basse :
Puisque Dieu n’est Rien,
Alors Il est Tout.
Il est RienTout.
C’est la complétude de Dieu.
Théo, sensible et entraîné, perçoit immédiatement la transmission qui sous-tend ces paroles et se met dans un mode méditatif, tout en gardant les yeux ouverts.
– Allâh Hwu ! s’exclame Malik, faisant jaillir l’invocation de la profondeur de son cœur.
Les yeux de Theo se ferment instantanément. Son esprit a reconnu le Verbe divin, sa vibration. Le son se propage dans tout son être. Chacune de ses particules entre en résonance avec le son sacré émis par le mystérieux ami.
L’invocation continue en silence. Théo en ressent les vagues. Il est emporté par la lumière dans une autre dimension de l’être.
Malik fixe le jeune homme et lui explique :
– C’est la meilleure façon que j’ai trouvée pour partager avec toi ce que peut être le soufisme.
Théo. – Est-ce que tu peux me dire comment vit un soufi ? Cette voie est si peu connue.
Malik. – Un soufi s’efforce de vivre en Dieu, en Sa présence et cherche à se soumettre à Sa volonté.
– Comme les chrétiens, en fait, réplique Théo un rien provocateur.
Malik psalmodie doucement :
Il n’y a de Dieu que Dieu.
C’est ainsi qu’un soufi prie chaque jour, évoquant le Divin.
Théo. – Quelles sont les manifestations qui en résultent ?
Malik. – L’amour, la compassion et la miséricorde, à l’image de Dieu. La paix et les bénédictions se répandent sur l’entourage qui le ressent. Dans notre voie l’équilibre entre le matériel et le spirituel est très important. Il provient de la maturité, fruit de la pratique, combinée à l’expérience. L’équilibre parfait s’obtient avec le temps. Notre âme aspire à l’impossible perfection, mais nous sommes doubles, faits d’argile et d’esprit. La terre, la nature ont leurs propres lois, tout comme l’esprit et le spirituel ont les leurs. Composer avec ces deux aspects de l’être est tout un art. Les maîtres soufis y arrivent parfaitement. Ils guident leurs disciples pas à pas, sur le Chemin qui mène à la Vérité.
L’homme est un trait d’union
Entre l’ombre et la lumière,
Entre le bien et le mal,
Entre le Ciel et la Terre.
La Voie encourage à l’équilibre et la modération, c’est le juste milieu. L’homme étant pétri de dualité, son travail premier est de retrouver l’Unicité.
Théo. – Comment peut-il y accéder ?
Malik. – Naturellement, car l’être humain est déjà porteur de l’Unicité. Dieu la lui a offerte lors de sa création. Dans le Coran il est dit que Dieu a passé un pacte avec l’homme, qu’Il a placé en lui un dépôt sacré qui constitue sa nature originelle appelée « fitra ». Celle-ci est au centre de l’être et c’est à partir de cette nature originelle qu’il va construire son individualité dont le principe premier est l’unité. C’est ce secret, celui de notre propre existence auquel nous devons accéder.
Théo. – Que contient ce dépôt originel ?
Malik. – Toute la Création, tout l’univers.
Théo. – Mais encore ?
Malik. – Dans la tradition adamique, il est dit que Dieu a donné à Adam les 99 Noms divins. Ils correspondent à tous Ses attributs et toutes Ses qualités.
Théo. – Je croyais que Dieu n’avait ni nom, ni mental, ni attribut ?
Malik. – C’est juste, le Nom ultime, le Centre, le centième Nom, c’est celui qui n’est pas connu. Il ne peut être prononcé. Il n’est révélé qu’au moment de la fusion avec Dieu incréé. Ici, il s’agit du Dieu créateur. Celui qui nous a donné la vie. Adam le représente. Il est « l’homme universel ». Les 99 Noms divins correspondent à toutes les qualités dont il est porteur et dont chaque être humain a hérité à travers lui.
Théo. – Est-ce la quête de l’Homme Universel dont parle la Kabbale ?
Malik. – La Kabbale, le Coran et les Vedas… c’est aussi la quête de l’Ultime.
Théo. – Comment est-ce que je peux concevoir cette nature originelle que tu nommes « fitra » ?
Malik. – Comme une graine qui contient tout le Divin, toute la connaissance, toute l’information, toute la volonté et la capacité de l’être. Elle est au fond de chacun, intacte. C’est là que réside l’égalité entre tous. C’est la fraternité réelle.
Théophile ferme les yeux. Il plonge au centre de son être pour se mettre en contact intime avec sa nature originelle.
Après un très long moment de méditation introspective, Théo se tourne vers l’Ancien et lui dit :
– Nous avons surchargé notre nature originelle d’ombres et de lumières, de complexités. Nous avons voilé notre conscience. Je comprends mieux la nécessité de nous purifier pour retrouver ce que nous sommes réellement.
L’Ancien acquiesce silencieusement.
Malik. – Comme tu as pu le pressentir, notre potentiel est immense. Ce « dépôt » est d’essence divine. Il est l’état originel que chacun aspire consciemment ou inconsciemment à retrouver. Sa lumière donne accès à Dieu, à la Vie de la vie.
Cette connaissance se transmet directement au cœur de Théophile tandis que Malik psalmodie doucement :
Le voyage de l’homme vers Dieu s’achève dans l’Océan infini de Son amour.
Le voyage de l’âme se poursuit à l’infini de Son éternité.
Les trois amis s’absorbent profondément dans un silence absolu.
Théophile l’Ancien
Extrait de Dialogues avec Théophile l’Ancien
L’initiation de Théophile le Jeune