Aujourd’hui, comme promis, Théophile l’Ancien et son amie Jeanne accueillent Théophile le Jeune pour aborder la pratique avancée.

L’Ancien. – Bonjour Théo, je te présente Jeanne, une amie de cœur de longue date. Elle a accepté de te parler de la pratique avancée au travers de la tradition chrétienne qui est sa voie. Écoute-la attentivement. Qu’elle t’inspire dans ta quête.

Se tournant vers Jeanne :
– Jeanne, j’aurais aimé que tu nous parles de l’oraison.

– Volontiers, acquiesce-t-elle. Vois-tu Théo, l’oraison, c’est l’application du cœur à Dieu. C’est un exercice intérieur à l’amour qui permet de marcher en présence de Dieu. L’idée de l’oraison est de fixer notre esprit sur Dieu, dans le fond de notre cœur, tournant tous nos sens et notre mental vers l’intérieur pour nous recueillir.

– C’est comme notre méditation ! s’exclame Théo.

Jeanne. – Pour les chrétiens, la méditation est la réflexion des propos tenus par Jésus-Christ dans leur esprit. C’est le reflet de ses paroles sacrées sur leur âme.

Théo. – Peux-tu me donner un exemple concret ?

Jeanne. – Bien sûr. Comme le mot yoga, le mot religion signifie « relier », c’est notre lien avec Dieu. Nous le prions avec la prière « Notre Père ». Elle permet d’entrer en communion avec Dieu, qui est au dedans de nous, au fond de notre cœur.

Théo. – Que fais-tu lorsque tu pries ?

Jeanne. – Je commence par un profond acte d’adoration et d’anéantissement devant Dieu. Les yeux du corps se ferment et les yeux de l’âme s’ouvrent. L’âme est ramassée au dedans, ne s’occupant que de la présence de Dieu. La paix et le silence s’installent. Je suis totalement abandonnée, attendant de connaître les volontés du Seigneur. Cela correspond au moment où dans la prière nous disons intérieurement : « Que ta volonté soit faite sur la Terre comme au Ciel. » Le ciel est en nous, bien sûr.

Théo. – Que se passe-t-il ensuite ?

Jeanne. – Rien, tout.

Théo. – Et que devient la suite de la prière ?

– Elle se dit ou pas, répond Jeanne doucement … Elle demeure silencieuse quelques instants. D’une voix douce elle murmure :

« Enfin le Verbe fuse, la « vive foi » de Sa présence suffit … »

Elle se tait à nouveau. Théo a du mal à garder les yeux ouverts. Son cœur l’aspire.

Jeanne. – Vois-tu Théo, quand la présence de Dieu est donnée, l’âme commence à goûter le silence et le repos. C’est cela la pratique avancée.

– C’est la même approche que Saint Jean de la Croix, Thérèse d’Avila et Thérèse de Lisieux, commente Théophile l’Ancien. C’est une voie chrétienne par l’intérieur, par le cœur.

Jeanne. – Tout à fait. L’oraison de simplicité est continue. Avec le temps, elle devient plus douce, plus aisée. L’âme reconnaît le chemin pour trouver Dieu. L’amour est de plus en plus pur. Nous voulons juste être comme Il veut que nous soyons :

« Demeurez unis à Lui,
Attendez-Le avec patience
Afin que votre vie croisse
et se renouvelle. »

Théo. – C’est ce que nous, nous appelons l’abandon au « Maître intérieur », à la « Présence ».

Jeanne émerge de son silence et approuve :
– L’abandon est la clef de l’intérieur, de la perfection. L’abandon est le dépouillement de tout, de soi-même pour laisser la conduite à Dieu. Cela demande la foi. Ici la foi est la conséquence, plus qu’un postulat. Tout a été remis au Seigneur, nos pensées, nos actes, notre spiritualité même. Nous considérons toutes les choses en Dieu et c’est Lui qui agit.

Un peu provocateur Théo affirme :
– C’est ce que préconisait, il y a bien longtemps, le Seigneur Krishna dans la Bhagavad Gîta. Il conduisait le char de guerre d’Arjuna, son ami et disciple. Le Seigneur Krishna n’agissait pas directement, mais au travers d’Arjuna et de tous les protagonistes de la fameuse bataille.

Amusée Jeanne réplique mystérieusement :
– Jeune Théophile, je le sais, je connais bien cet épisode puisque j’y étais.

La réplique de Jeanne laisse Théophile interloqué et dubitatif.

Feignant d’ignorer la réaction du jeune homme, Jeanne poursuit :
– N’a-t-il pas dit aussi à Arjuna : « Tu me trouveras dans ton cœur » comme plus tard Jésus-Christ l’a dit aussi à ses disciples ? Tous les deux ont affirmé : « Je suis la voie, Je suis le chemin. »
Ainsi, a le droit de l’affirmer tout être qui s’est uni à Dieu, laissant totalement la place au Divin à l’intérieur.

Théo. – Cette idée d’anéantissement me gêne un peu.

Jeanne. – Chaque tradition a son propre vocabulaire mais le résultat est le même, le « moi » doit s’effacer devant Dieu. Les soufis parlent de « Fana », qui est l’extinction. Ils parlent même de « Fana al Fana », de « l’extinction dans l’extinction ». Mais tu rencontreras cette approche plus tard quand Théophile l’Ancien le décidera. Dans votre tradition de raja-yoga vous nommez cela dissolution en Dieu, appelé « laya-avasta ». Le concept est toujours le même, c’est Dieu qui conduit, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.

« Laisse le passé à l’oubli
Laisse le futur à la providence
Donne le présent à Dieu. »

Après un bref silence Théo insiste à nouveau :
– L’ancien ne m’a pas encore parlé de cet aspect-là de la pratique, mais cette idée de disparition du moi me semble douloureuse, peu attirante, j’éprouve une réticence que je n’explique pas vraiment.

Jeanne. – Parce que c’est le Divin que tu dois regarder Théo, pas l’extinction du moi. C’est un processus d’amour et dans l’amour tu ne vois que le Bien-Aimé.

Théo. – Tu veux me dire que tu souffres quand tu as conscience de toi, mais que lorsque tu aimes tu ne sens pas la souffrance ?

Jeanne. – Tu la ressens, mais elle a peu d’impact sur toi. Tout vient du Seigneur que ce soit le bon, le moins bon ou le mauvais. Tout est reçu de manière égale.

Théo. – J’ai une forte tendance à aimer le bon et le bien !

Jeanne. – Comme nous tous, mais la vie ici-bas est faite de jour et de nuit. Nous l’acceptons pleinement et de ce fait nous transcendons la dualité pour entrer dans le royaume de Dieu, de l’Unité.

Théo. – L’ancien m’a dit que la souffrance est plus psychologique, émotionnelle alors que la douleur est objective qu’elle nous informe d’une situation pour que nous fassions le nécessaire pour remédier à la cause de la douleur. Avec ce que tu viens de me dire, j’ai décidé de mieux pratiquer mon nettoyage afin d’éviter au maximum toutes les souffrances inutiles.

Jeanne se tait, Théo n’est pas encore prêt.

Tous, nous passons par-là, pense-t-elle. Nous voyons d’abord les événements de la vie en positif ou négatif, alors qu’il faut aller bien au-delà, soutenus en cela par l’amour, la confiance et la foi. Cela prend du temps et une conscience que le jeune homme n’a pas encore acquise.

Théo continue son raisonnement :
– Il est vrai que plus on aime Dieu, moins l’on pense à soi et plus on se purifie. On devient aussi plus subtil alors pourquoi serait-il nécessaire de souffrir ?

Jeanne. – Quand tu fais de l’exercice physique, tu souffres toujours un peu au début, c’est lié à l’effort que tu produis. Il en est de même quand tu débutes toute pratique spirituelle. Par contre, quand tu abordes la pratique avancée, le travail de l’âme consiste surtout à ne rien faire, à rester au repos dans le fond de ton cœur, tout en contemplant le Divin. L’équanimité s’installe alors en toi. Les taoïstes parleraient de « neutralité bienveillante », tout devient égal, disent-ils, et rien ne peut toucher « le vide médian » de leur cœur.

Les trois amis se taisent et s’absorbent dans ce silence habité. La grâce les enveloppe ; les mots ont atteint leur limite ; c’est le temps du repos, de la paix intérieure.

A suivre…

Théophile l’Ancien
Extrait de Dialogues avec Théophile l’Ancien
L’initiation de Théophile le Jeune