L’Ancien poursuit :
– Dès que ton âme est passée dans la région cosmique (deuxième étoile du symbole ésotérique) et qu’elle a transcendé tous les éléments constituant la dimension de la manifestation (terre, eau, feu, air éthéré : première étoile), elle se libère de l’attraction terrestre et des impressions liées à l’ego. Elle s’achemine librement vers Dieu.
Théo. – Comment reconnaître cet état de libération ?
L’Ancien. – A ce moment s’installe une grande simplicité intérieure et la pureté de l’être augmente nettement.
Théo. – Est-ce que la façon de pratiquer change à ce moment-là ?
L’Ancien. – Beaucoup, elle se base davantage sur l’amour. La méditation, qui consiste à demeurer dans la Présence, devient un acte sacré intérieur. Le nettoyage s’oriente vers la pureté de l’âme dans le seul but d’accéder à l’union avec l’Ultime et à la fusion. La prière n’est plus nécessaire bien qu’on puisse encore la dire. Elle est maintenant intégrée au plus profond de soi. Sa vibration, en lien avec le Centre, avec le Maître intérieur, devient permanente.
Théo. – Comment savoir que l’on est vraiment arrivé à ce stade ?
L’Ancien. – Par l’intensité du silence qui est en soi et tout autour de soi.
Théo. – Comme nous l’avons en ce moment ? J’ai la sensation que tu me transmets ce silence.
L’Ancien. – Ce n’est pas le cas : le fait de l’évoquer nous y rend attentifs, mais c’est un phénomène de résonance que tu expérimentes. Plus l’âme avance vers l’Ultime, moins elle agit. Sa volonté est soumise au Divin. La personne ne fait plus d’effort. Son âme est au repos, contemplant la Présence. Ce qui doit se faire, spirituellement et humainement, se fait de lui-même comme à l’instant, par résonance et non par volonté personnelle.
Théo. – N’est-ce pas une invitation à l’immobilisme voire à la paresse ?
L’Ancien. – Plutôt à une activité plus intense, encore plus efficace, au-delà de toute mesure humaine. Etudie la vie des Maîtres de notre lignée et celle des grands êtres spirituels de tous les temps. Tu constateras qu’ils sont toujours dans le monde, parmi les humains, œuvrant pour le bien de tous et de chacun.
Théo. – C’est du management divin !
L’Ancien. – N’oublie pas que l’aspirant a déjà travaillé intensément pendant au moins sept ans. Il a pratiqué assidûment, sans repos et modelé son caractère. Surtout, il s’est abandonné à chaque instant, sinon son guide spirituel n’aurait pu lui faire franchir la porte de la libération.
Théo. – Tu m’as dit qu’il n’est plus assujetti à l’attraction terrestre ?
L’Ancien. – Plus précisément, il n’en sent plus aussi fortement les effets. Son ego et son âme sont toujours très actifs. Il a encore beaucoup de chemin spirituel à parcourir, mais plus de la même façon.
Théo. – Comme pour la méditation, il faut être « activement passif ».
L’Ancien. – Exact, attentif au Divin en soi, au Maître intérieur, plus qu’au moi.
Théo. – C’est ce qui conduit au fameux oubli de soi. Mais n’est-ce pas un peu inquiétant de ne plus être soi ?
L’Ancien. – Non, c’est un paradoxe : on n’est jamais autant Soi-même que lorsque l’on s’ignore.
– Je le comprends intellectuellement mais concrètement j’ai un peu de mal, avoue le jeune homme en faisant la moue.
L’Ancien. – Je te propose une expérience si tu le veux bien : regarde cette personne assise dans le groupe, près du kiosque à musique. Regarde-la, regarde les personnes qui l’entourent.
Un silence s’installe.
L’Ancien. – Communique avec chacune d’elles par le cœur.
Entre en communion silencieuse avec elles.
Tu vois … le kiosque … la place … la ville … plus encore …
Est-ce que tu perçois les lumières de la « Trame » ?
Peux-tu me dire ce que tu ressens ?
Théo. – Il y a une intensité extraordinaire de Présence, avec la conscience « d’être » et de « non-être ». En réalité, j’ai la sensation d’être beaucoup « plus » en étant « moins » » qu’habituellement. Je n’arrive pas à bien décrire ce que je ressens, j’ai du mal à définir cet état. Je suis pleinement vivant, présent et en même temps je ne suis plus là. Comme si je m’étais gommé moi-même.
L’Ancien. – Et as-tu l’impression d’être diminué par cet effacement ?
– Non, plutôt grandi, dit Théophile le Jeune en riant, mais d’une grandeur qui est mienne sans pour autant m’appartenir. Je commence à parler comme toi, ça devient grave.
L’Ancien. – C’est l’expression d’une « condition-oxymore » ou d’un paradoxe, comme d’être totalement présent par « absence ». Cela permet de montrer un état d’être inconnu, indescriptible, une combinaison de l’humain et du Divin ; « être moins pour devenir plus », moins de nous-même, plus de Divin. Notre cerveau n’est peut-être pas formaté pour saisir cela mais notre conscience le comprend aisément. Babuji disait encore « de plus en plus de moins en moins ». Il adorait jouer avec les oxymores et la loi de l’invertendo.
Théo. – Ce que j’ai saisi est vaste, très vaste. C’est du même ordre que mon ressenti lorsque que je dis la prière universelle de 21 h, mais c’est indicible. Cela élève l’âme et la rapproche des autres, comme si j’étais en communion avec tous les êtres, par le cœur.
Théophile l’Ancien
Extrait de Dialogues avec Théophile l’Ancien
L’initiation de Théophile le Jeune