Théo. – Que pouvons-nous faire pour aider un enfant spirituellement ?
L’Ancien. – Avant tout, avoir conscience que nous accueillons une âme et la reconnaître par communication de cœur à cœur, puis respecter sa destinée, sans interférer, juste en l’accompagnant sur son chemin de vie avec tout l’amour et l’attention dont nous sommes capables. Un enfant ne nous appartient pas, il nous est confié.
Théo. – Dans cette optique quelle sera la principale difficulté pour les parents ?
L’Ancien. – Ne pas intervenir tout en restant pleinement présent.
Théo. – Mais encore ?
L’Ancien. – C’est une tentative d’amour vrai.
Théo. – Est-ce si difficile ?
L’Ancien. – Elever un enfant, c’est merveilleux, mais c’est aussi un mystère total. On se sent vite désemparé, d’autant que l’on veut bien faire.
Théo. – C’est mystérieux, comme l’est Dieu pour l’homme.
L’Ancien. – L’autre est toujours un mystère qu’il soit l’enfant, l’épouse, le mari, le père ou la mère ou pire encore, soi-même ! En effet, qui se connaît vraiment ? Notre part d’inconscient est si grande…
Face à un enfant, nous sommes devant l’inconnu, le mystère d’une âme en devenir.
Le seul atout que nous ayons à disposition est notre cœur et notre plus grande force est l’Amour.
Théo. – Et l’intelligence ?
L’Ancien. – L’intelligence n’est pas inutile lorsqu’il s’agit de vouloir le meilleur pour son enfant, elle doit nous rendre humbles. Pour le quotidien, normalement, nous ne nous en sortons pas trop mal, mais pour ce qui est de l’essentiel, nous sommes vraiment impuissants et nous réalisons que nous ne comprenons pas grand chose.
Théo. – Les parents ne sont- ils pas aussi des éducateurs ?
L’Ancien. – Bien sûr, nous en discutions avec Eléa qui a été enseignante. Elle s’est occupée d’enfants en difficulté. Pour elle, il faut établir un cadre qui sécurise l’enfant, le rassure, avec des règles simples et intelligentes auxquelles il peut se référer ; puis, le laisser totalement libre à l’intérieur de ce cadre, restant à son écoute, attentif à ses besoins, à son rythme.
Théo. – Et toi comment envisages-tu l’éducation ?
L’Ancien. – Je me pose encore des questions. Ce que je sais, c’est que le père et la mère créent un champ d’amour et de bienveillance autour de leur enfant, un champ vibratoire qui va le nourrir. Je crois surtout à l’exemplarité discrète pour la construction progressive de sa personnalité. L’éducation est nécessaire, mais elle ne doit pas devenir une sorte de formatage, de conditionnement. Spirituellement, l’âme doit être libre de se réaliser sans contraintes.
Théo. – C’est paradoxal, non ?
L’Ancien. – Peut-être, mais prends l’exemple du « merci » qu’on impose aux enfants chaque fois que l’on fait quelque chose pour eux ; en Inde il serait impoli de dire merci à table à sa mère .Elle serait choquée et même peinée.
En Inde encore, il est bienséant de manger avec ses mains, en Europe on se bat avec l’enfant pour qu’il se nourrisse avec une cuillère puis une fourchette, alors qu’il n’a qu’une envie, c’est de se servir de ses doigts.
Prenons un autre exemple : certains psychologues pensent qu’il faut qu’un bébé dorme très rapidement dans une chambre séparée de ses parents. En Orient, le bébé doit rester en contact avec le corps de sa mère pendant toute la première année de sa vie.
Théo. – Pourquoi ?
L’Ancien. – Les Orientaux disent que, jusqu’à un an, l’esprit du bébé n’est pas encore tout à fait incarné, qu’il est entre deux mondes et qu’il faut le tenir dans les bras autant que possible, afin de favoriser son incarnation.
Il a passé neuf mois en lien permanent avec sa mère et tout d’un coup, il faudrait l’éloigner d’elle pour qu’il développe son indépendance ? Ce dont le bébé a le plus besoin c’est de l’amour et du lait de sa mère.
Théo. – A une certaine époque, on décourageait les mères d’allaiter. Aujourd’hui, on les encourage à nouveau à nourrir leur bébé au sein, et pas seulement pour renforcer ses défenses immunitaires ; il semblerait qu’un enfant allaité suffisamment longtemps soit plus équilibré et devienne plus facilement indépendant.
L’Ancien. – S’éloigner de sa mère lui fait peur. Il est effrayé par la séparation et il pleure. Il appelle.
Théo. – Mais que faire quand les mères doivent aller travailler après leur congé de maternité ? Pour beaucoup, c’est un crève-cœur, mais une nécessité.
L’Ancien. – Ce qu’il faut, c’est que le bébé soit autant que possible dans les bras de quelqu’un d’aimant mais surtout, quand la maman doit le confier à une nounou ou à une crèche, qu’elle maintienne le lien mental et de cœur avec lui, tant qu’elle en est éloignée. Ce lien psychique doit être maintenu, le bébé le sent. Il est rassuré, mais quand il ne perçoit plus sa mère, alors, il devient vraiment désespéré.
Théo. – Quelle éducation spirituelle as-tu reçu quand tu étais un enfant ?
L’Ancien. – La meilleure qui soit. Mes parents avaient une conscience spirituelle, sans pour autant appartenir à une religion. C’étaient des libres-penseurs qui se tenaient à distance de toute forme de dogmatisme social ou religieux. Depuis mon plus jeune âge, je me souviens que nous parlions régulièrement et naturellement de Dieu avec ma mère.
Théo. – Quels étaient les sujets que vous abordiez ?
L’Ancien. – Je n’en ai aucun souvenir. Ce que je sais, c’est que Dieu était au centre de ma vie.
Théo. – As-tu eu une pratique particulière ?
L’Ancien. – Oui, le hatha-yoga que je pratiquais assidûment, en groupe, tous les vendredis à 17 h. J’avais douze ans.
Théo. – Organisait-on des cours pour les enfants à cette époque ?
L’Ancien. – Non, j’étais le seul enfant parmi les adultes.
Théo. – Et cela a été déterminant ?
L’Ancien. – Ce fut un ensemble de choses. Il y a eu d’abord une ambiance spirituelle et harmonieuse créée par mes parents. Ensuite, ce qui a marqué un tournant pour notre famille fut lorsque, dans un commun accord, nous sommes devenus végétariens. Grâce à ce changement et au yoga, j’ai fait un bond remarquable dans la conscience et l’intelligence.
Théo. – Comment l’expliques-tu ?
L’Ancien. – Par l’Asthanga yoga.
Sans le savoir nous pratiquions yama-nyama, et pourtant, nous vivions dans la banlieue nord de Paris le fameux 9-3 où l’athéisme était de rigueur. Notre famille vivait à l’intérieur d’une bulle spirituelle. Mes parents fréquentaient un groupe, « Vivre en harmonie » ; ses membres échangeaient leurs avis, sur les soins naturels issus de l’ayurveda ; ils mangeaient bio et pensaient « universel ». Ils avaient tous, diverses démarches spirituelles dont ils parlaient entre eux.
Théo. – Mais tes parents n’avaient pas de religion ?
L’Ancien. – Non, aucune, ils croyaient en Dieu. Ma mère aimait se considérer comme anarchiste spirituelle. Ils lisaient beaucoup et fréquentaient des personnes qui étaient rosicruciennes, théosophes, anthroposophes, martinistes, juives, chrétiennes, mais ils n’adhéraient à rien si ce n’est à Dieu, en direct, sans intermédiaire. Ils avaient une tendresse toute particulière pour Maître Jésus.
Mon père adorait les écrits de Swami Vivekananda, ma mère semblait très proche de Thérèse d’Avila. Les deux écoutaient pendant des heures les enregistrements dès enseignements de Krishnamurti.
Théo. – Etais-tu intéressé ?
L’Ancien. – J’ai rencontré Krisnamurti à Paris, j’avais onze ans. Je pensais rencontrer mon Maître, mais je n’ai pas eu l’élan du cœur que j’attendais. J’étais un peu déçu. Par contre, pendant un certain temps nous allions l’été écouter les enseignements des Rose-croix et cela m’a passionné.
Théo. – Plus précisément, quelle a été l’incidence du Yoga sur toi ?
L’Ancien. – J’étais pré-adolescent et je menais la vie la plus pure possible mentalement et physiquement. Devenir végétarien m’a allégé vibratoirement. Mon mental est devenu plus efficace, mon intellect plus performant. A treize ans, je suis devenu un très bon élève alors que j’étudiais avec difficulté à l’école primaire. Mes capacités extra-sensorielles se sont développées.
Théo. – Lesquelles, par exemple ?
L’Ancien. – L’intuition, la télépathie. Ainsi, je m’exerçais à l’empathie en permettant, par exemple, à des garçons qui ne m’aimaient pas, de devenir de bons camarades. Je sentais les professeurs de l’intérieur, les analysais psychologiquement pour mieux comprendre ce qu’ils attendaient de nous.
Je suis devenu excellent en gymnastique car le yoga m’avait donné souplesse, force et équilibre.
Théo. – Grâce aux asanas ?
L’Ancien. – Oui, mais aussi au contrôle du souffle, de l’énergie avec le pranayama. Nous faisions un yoga plutôt acrobatique ; cela plaisait beaucoup à l’adolescent que j’étais.
Théo. – Comment ces pratiques ont-elles pu avoir une incidence spirituelle et développer tes capacités extrasensorielles ?
L’Ancien. – Chaque posture est reliée à un chakra. Nous y associions la pratique du souffle (pranayama), qui amenait l’énergie appropriée à l’organe et au chakra qui contient des pouvoirs et de nombreux potentiels.
Théo. – N’était-ce pas dangereux pour un enfant ?
L’Ancien. – Non, car la pratique était équilibrée : postures, contre-postures ; chaque chakra était sollicité à son tour. Nous faisions des rétentions modérées sans toucher à la kundalini.
Théo. – Ces pratiques t’ont-elles apporté d’autres résultats ?
L’Ancien. – La notion de l’effort, la maîtrise de la douleur. Nous poussions les postures jusqu’à la limite du supportable. Les résultats étaient bons.
La relaxation guidée dans la posture dite « du mort » était très importante. J’avais une vision intérieure de mon corps et l’esprit allait tout naturellement vers le vide intérieur, une bonne préparation à la méditation.
Théo. – Ainsi, tous les plans de ton être étaient nourris. Chacun des sept chakras ont été ouverts et énergétisés, des capacités se développaient. Cela donne envie de pratiquer le yoga. As-tu continué longtemps ?
L’Ancien. – Par intermittences, jusqu’à mes vingt-deux ans. Quand j’étais en faculté j’avais pris l’habitude d’ouvrir un cours gratuit de yoga.
Théo. – Pourquoi ?
L’Ancien. – Cela me poussait à le pratiquer moi-même.
Théo. – Vers quel âge as-tu commencé la méditation ?
L’Ancien. – Vers seize, dix-sept ans.
Théo. – Qu’est-ce qui t’y a incité ?
L’Ancien. – Une aspiration à Dieu et une conclusion logique. Je voulais vivre ce qu’avaient vécu les mystiques, les yogis et les saints, ne pas me contenter de lire leurs exploits spirituels, et la méditation me semblait la seule solution.
Théo. – Pour le vivre intérieurement ?
L’Ancien. – Le yoga m’avait appris la concentration, le souffle, l’énergie, le retrait des sens, la prochaine étape était dhyana, la méditation pour aller à Dieu en moi.
Je me suis exercé seul. C’était difficile ; je méditais sur ajna-chakra et lorsque je me suis rendu compte qu’il y avait des infinis à explorer, je me suis senti perdu. J’en ai conclu que je devais trouver un maître spirituel pour me guider dans ma quête de Dieu.
Théo. – Et alors ?
L’Ancien. – J’en ai parlé à ma mère qui m’a dit : « Quand le disciple est prêt, le Maître arrive. » Elle m’a proposé que nous méditions avec mon père tous les jours vingt minutes et que nous demandions un guide spirituel à Dieu.
Quelques mois plus tard, par l’intermédiaire d’un pratiquant du Sahaj Marg (voie naturelle du raja-yoga), j’entrai en contact avec mon Maître spirituel : Shri Ram Chandra, mais c’est une autre histoire.
Théophile l’Ancien
Extrait de Dialogues avec Théophile l’Ancien
L’initiation de Théophile le Jeune