Théo. – J’aurais besoin d’un éclaircissement de ta part. Nous explorons les bienfaits du souvenir constant. Comment l’associes-tu à l’oubli de soi ?
L’Ancien. – Ce sont en fait deux compagnons de route. Notre quête est celle de l’Ultime, de Dieu dans notre cœur. Pour aboutir, elle doit nous prendre corps et âme, dans la totalité de notre être. Prenons un exemple : qu’arrive-t-il quand tu es passionné par un sujet ou une activité ?
Théo. – Je peux m’y absorber au point d’oublier le temps. Il m’arrive aussi de sauter les repas. Je suis si concentré que mon environnement immédiat disparaît de mon esprit. Les bruits extérieurs, les conversations sont lointains. Je suis pris par mon sujet. C’est ce que tu décris dans l’expérience optimale dont tu me parlais l’autre jour.
L’Ancien. – Exactement, tu es tellement concentré sur ton sujet que tu ne penses plus à toi tout en étant pleinement présent.
Théo. – Oui dans ces moments là je sens toutes mes ressources disponibles, mais j’ai la sensation que la prééminence de l’ego a disparu, je ne le perçois plus.
L’Ancien. – Et pourtant l’ego est utilisé pleinement à ce moment-là.
Théo. – Il y a une intensité du Soi sans que le petit moi vienne me perturber.
L’Ancien. – C’est l’objet de ta recherche ou de ton travail qui focalise toute l’énergie et qui t’envoie son énergie en retour.
Théo. – Je me sens entier, totalement unifié à cet instant. Cela se produit naturellement, sans que j’y mette ma volonté.
L’Ancien. – Dès qu’il y a désir, le moi intervient et pour exister il demande une grande part de ton énergie, puis il produit une série de pensées qui vont lui permettre de se situer dans le contexte, de subsister. « Moi » par rapport à l’objet, l’ego par rapport à moi.
Théo. – C’est à ce moment que se créent nombreuses pensées, elles partent dans tous les sens, elles créent divers canaux affaiblissant le courant principal de mon étude. Je comprends la perte d’énergie, donc d’efficacité.
L’Ancien. – Et tu sors de l’expérience optimale et de son efficience. Tu utilises beaucoup d’énergie pour poursuivre ton activité et maintenir ton attention sollicitée par l’extérieur et détournée de ton sujet.
Théo. – Il est vrai que dans ces moments-là, je dispose d’un maximum d’énergie. Rien ne me gêne, rien ne m’arrête, même si le propos est ardu. En fait le sujet semble vouloir se révéler à moi, presque me parler, en me fournissant les clefs essentielles pour ma recherche. Quels moments bénis !
L’Ancien. – Imagine que ton sujet d’étude est l’Ultime, Dieu. Là, il n’y a plus aucune limite. Tu comprends ?
Théo. – Je dois me rapprocher de cet état quand je lis un livre sacré : je m’y perds totalement, je ne vois pas les heures passer.
L’Ancien. – Et lorsque ce même sujet est sacré et situé au centre de ton être, dans ton cœur, imagine ce qui se passe …
Théo ne répond pas, il a fermé les yeux et savoure ces moments qu’il affectionne particulièrement. Un silence tranquille et léger s’installe autour d’eux. Le souffle les enveloppe et les entraîne loin de la petite pièce. Ils voguent sur les ailes de la Grâce vers les mondes intérieurs et les contrées sacrées …
Théophile l’Ancien
Extrait de Dialogues avec Théophile l’Ancien
L’initiation de Théophile le Jeune