Théo. – La dernière fois tu m’expliquais la nécessité de conserver cet état d’équanimité à l’intérieur de soi. Cependant tu admets que cet équilibre puisse se rompre par instant n’est ce pas ?
L’Ancien. – Oui et se retrouver en retournant à la Présence.
Théo. – Donc en rétablissant notre connexion. Mais je croyais que cette connexion était définitive et ne pouvait se perdre ?
L’Ancien. – Tu peux en perdre la conscience et vivre à nouveau par l’ego-centrisme, au lieu d’être sur le Soi-centrisme, d’être centré sur le Seigneur dans ton cœur infini.
Théo. – Ne serait-il pas plus simple, pour le débutant, de méditer sur atma-chakra (point n°2) et pour l’aspirant avancé à partir du chakra aux mille pétales (point n° 10) ?
L’Ancien semble réfléchir longuement puis répond :
– Si un aspirant se concentrait en permanence sur le point n° 2, il perdrait tout intérêt pour la vie de tous les jours. J’en ai fait l’expérience dans ma jeunesse. Mon Maître m’avait permis d’accéder à la région cosmique. J’étais hors du monde et pendant neuf mois : j’avais perdu le goût de vivre ici-bas. Ma vie de famille restait belle et harmonieuse, mon travail marchait très bien, ma santé était parfaite et pourtant je n’avais qu’une envie, être et demeurer dans le cosmique, ailleurs que sur cette terre qui m’était devenue étrangère.
Théo. – Et comment es-tu sorti de cet état ?
L’Ancien. – Avec l’aide de mon Maître bien sûr et surtout en intégrant tout ce qu’il m’avait donné spirituellement par le cœur, en mon cœur.
Théo. – Que tu appelles « grand intégrateur »…
– Le chakra de l’âme (point n°2) poursuit l ‘Ancien en hochant la tête, court-circuite l’ego et nourrit l’aspirant d’amour. En y demeurant en permanence, celui-ci risquerait de rester dans un état végétatif et d’arrêter là son évolution humaine et spirituelle.
Théo. – Je vois, tu évoques les deux ailes de l’oiseau de Babuji : son aile matérielle et son aile spirituelle doivent être en équilibre, sinon il risque de tourner en rond soit spirituellement soit matériellement. Et le plus souvent c’est matériellement !
L’Ancien. – La vie est mouvement. L’évolution de l’âme individuelle (jivatman), c’est le mouvement de l’âme au travers des chakras et leurs régions spirituelles.
Théo. – C’est le sens de la maxime n° 2 (« Commencez votre méditation par une prière pour l’élévation spirituelle avec un cœur plein d’amour et de dévotion. ») par laquelle Babuji nous exhorte à ne pas nous arrêter, à être sans repos tant que nous n’avons pas accompli le But Ultime, l’Union avec Dieu.
L’Ancien. – Pour cela, nous devons demeurer en équilibre, équanimes, immobiles en notre Centre et en mouvement à la périphérie avec les ailes de l’oiseau.
Théo. – Et comme le dit Daaji, la queue de l’oiseau maintient la direction.
L’Ancien. – Tu vois, Théo, tout ce dont notre créateur nous a dotés a sa valeur, rien ne doit être rejeté.
Théo, joyeux :
– Mais être à sa juste place, quel travail !
L’Ancien. – Le faire à partir de la Présence, dans l’équanimité est une expérience fantastique. Tout prend naturellement sa place et la vie devient harmonieuse. Elle prend tout son sens et son intérêt.
Théo. – Sinon, que se passe-t-il ?
L’Ancien. – Tu le sais très bien, les tendances de l’individu dominent, la personnalité et l’ego agissent à leur guise.
Théo. – Pourtant, certains sont très heureux ainsi; l’absence de conscience spirituelle ne semble pas les déranger et leur vie se déroule harmonieusement.
L’Ancien. – Une personne qui vit en accord avec elle-même (swadharma) et avec la nature peut être heureuse. Elle est équanime, en adéquation avec sa propre vie, en harmonie avec son entourage et son environnement.
Théo. – Comme le sont certains animistes ou chamanes ?
L’Ancien. – Ou encore les personnes qui vivent dans le « flow » comme nous l’avons vu dans les études de la psychologie positive. Elles vivent intensément ce qu’on nomme l’expérience optimale.
Théo. – Je m’en souviens, tu proposais de devenir une personne optimale, un yogi occidental qui a découvert la clef du bonheur.
L’Ancien. – La difficulté réside dans la pérennisation de l’expérience, quelle qu’elle soit.
Théo. – Tout comme les belles expériences de méditation, j’aimerais qu’elles ne s’arrêtent jamais…
L’Ancien. – Oui, mais la vie, l’âme va de l’avant.
Théo. – Nous sommes comme des navigateurs qui font étape dans un port, restent quelque temps dans le pays, le visitent puis l’appel de l’océan devient trop fort et il faut reprendre la mer.
L’Ancien. – Tu deviens poète, cher Théo ! En fait la seule permanence est l’atman (Paramatman), la Présence éternelle dans notre cœur. Elle nous paraît immobile car elle constitue le centre de notre être, mais la vie, notre vie provient de ce Centre.
Théo. – Si j’ai bien compris, c’est le contact de mon esprit avec la Présence qui me donne accès à la réelle équanimité, à la bienveillance.
L’Ancien. – Tout à fait, c’est la Présence qui se déploie…
Théo se tait, les yeux mi clos il sent la Présence se déployer tranquillement en son être intérieur. En lui tout est serein. Il contemple la vie, sa vie, paisiblement avec confiance. Un silence habité règne dans la pièce.
S’adressant à son vieil ami il murmure dans un souffle :
– J’ai hâte de vivre à partir du sahaj-samadhi.
L’Ancien se contente de sourire, répondant intérieurement à son jeune ami
Théophile l’Ancien
Extrait de Dialogues avec Théophile l’Ancien
L’initiation de Théophile le Jeune