Théophile le Jeune et son ami l’Ancien se rendent aujourd’hui chez Malik qui a invité le jeune homme à poursuivre son approche du soufisme.
Tout en marchant l’Ancien explique :
– Notre ami est musulman et sa voie, le soufisme, a su intégrer chrétiens, hindous, juifs, bouddhistes, non religieux sans demander à quiconque de se convertir à l’Islam. Les soufis considèrent leur entraînement spirituel comme un voyage de l’âme. Pour le chercheur le Chemin passe par différentes étapes, différentes stations.
Les deux amis pénètrent dans une maison aux murs immaculés où Malik les attend, tranquillement assis sur un tapis de soie aux couleurs moirées. Après les salutations d’usage un silence s’installe.
Malik invoque directement Dieu :
– La ilaha illa Allah.
Théo pense : « Pas de fioriture, droit au but ! »
Vigilant, le jeune homme garde sa conscience totalement ouverte. Il observe l’homme assis en face de lui. Une douce transmission commence à toucher son cœur et cette sensation familière le rassure. Elle compense l’air sévère de son interlocuteur. Il remarque un léger sourire sur le visage de l’Ancien. Il comprend que Malik touche mentalement chaque point de la région de son cœur pour finir avec celui qui se situe au centre du cerveau.
Malik. – Je vois que l’Ancien t’entraîne à la « méditation d’excellence ». Elle est pour celui ou celle qui cherche la Réalité, qui voit en toute chose la Vérité de Dieu et qui reconnaît la Présence en permanence. Je t’ai mis directement en contact avec Dieu et mon invocation signifie : « Pas de dieu si ce n’est Dieu », mais pourrait aussi se traduire par « Pas de réalité si ce n’est la Réalité ».
L’Ancien sert une tasse de thé à chacun. Théo se détend. Il a l’impression d’avoir passé un test.
Malik répond à sa pensée :
– Je devais savoir quel serait notre niveau de communication. Je constate que l’Ancien t’a bien entraîné.
Théo sent les chakras au centre de sa poitrine et de sa tête pulser, scintiller.
Malik dessine les cinq centres subtils, Théo les reconnaît immédiatement :
Akhafa
Khafi Sirr
Rûh Qualb
Malik. – Chacun d’entre eux répond différemment au dhikr (l’invocation), explique Malik.
Ces cinq centres subtils correspondent à des niveaux de conscience du cœur. Ils appartiennent au « monde de la Volonté » (région du cœur ou pindesh). Celui de la tête est celui de la conscience supérieure et de la communication de l’âme avec le Divin. Il appartient au « monde de la Création » (région cosmique ou brahmanda-mandal). Ces cinq centres subtils sont des voiles qui sont à la fois des obstacles et des protections. Le guide spirituel fait progresser son disciple de chakra en chakra, en les purifiant et en les illuminant par la transmission, tavajjoh.
Se retournant vers l’Ancien, Théo demande :
– Ce sont les mêmes chakras que nous ?
L’Ancien. – Il ne peut en être autrement. Ils sont universels, mais chacun peut les utiliser différemment.
Malik poursuit :
– Le cœur, qualb, reçoit le nom de Dieu, « Allâh », sa vibration. Le son, shabd, touche l’âme de l’aspirant. La transmission met en mouvement l’âme vers le second centre, rûh, l’esprit. Ici le Nom est oublié, l’aspirant est dans la Présence. Au fur et à mesure de l’avancée dans les centres subtils, la Présence est de plus en plus profonde et permanente. L’aspirant se perd en Dieu. En même temps l’intuition devient de plus en plus profonde. Le disciple accède à la Connaissance.
Théo. – A quoi sert le dhikr, l’invocation, c’est ça ?
Malik. – Le but du dhikr est d’orienter le pratiquant vers Dieu et uniquement Dieu. Il affirme à partir de la parole, du témoignage, l’Unicité, Tawhid. Son âme se rappelle alors sa nature originelle appelée « fitra » et du pacte, mithâq, qu’elle a passé avec Dieu avant de s’incarner. L’aspirant se fond alors dans le Divin et quand le moment est venu, par la grâce de Dieu, il fusionne, fana, en Lui.
Théo. – Mais que se passe-t-il ensuite ?
Malik. – C’est baqa, le disciple voit Dieu dans toutes les créatures.
Dans notre voie, il y a six piliers, je vais te les nommer et tu les écouteras attentivement avec ton cœur.
Théo est immédiatement disponible, les yeux mi-clos.
Malik prononce doucement l’invocation, le dhikr :
Allâh Hwu … silence …
La méditation, Murakabe, Malik transmet … silence …
La conscience du cœur, Qualb i vukuf … silence …
La préservation du lien spirituel … silence …
Le Lien d’Amour … silence …
La Compagnie du Cheik (Maître)
Théo. – Qu’en est-il de la méditation ?
Malik. – Nous l’appelons « murakabe » et elle consiste à méditer sur l’omniprésence de Dieu en tout lieu et en toute chose. Cette méditation nous l’appelons la « garde du cœur » : nous gardons notre attention sur le cœur, ne nous laissant pas détourner par le mental et ses illusions. Nous méditons jusqu’à ce que le « secret divin » nous soit révélé. Nous l’appelons aussi « la vigilance contemplative ». Si l’homme persiste dans l’observation de son cœur, il deviendra conscient de sa propre réalité, celle que Dieu a inscrite dans son cœur. Il comprendra alors la Vérité de Dieu, son Essence, son Nom.
Ô Soufi, si tu purifies le miroir de ton cœur
Une porte s’ouvrira en toi,
Le Rayonnement de Dieu brillera sur toi.
De plus la répétition du « Mot d’Alliance », « La ilaha illa Allah », retourne l’esprit vers notre nature essentielle, fitra, et polit notre cœur. Celui-ci a tendance à s’oxyder, alors nous le polissons par le dhikr et le repentir. Si le cœur est nettoyé de ses nuages, il verra les mensonges, comme la Vérité.
Théo. – Nous aussi nous avons le nettoyage dans notre pratique. Vous évoquez aussi un maître spirituel, quel est son rôle ?
Malik. – Chaque apprentissage nécessite un maître qui maîtrise le sujet qu’il enseigne. Dans le domaine musical, les plus doués participent à des classes de perfectionnement et parfois ils ont la chance de prendre un cours particulier avec un maître de musique. S’ils sont doués et enthousiastes, ils peuvent en devenir les disciples. Très peu sont acceptés par un tel maître. Ces virtuoses sont déjà au-delà de la technique. Ils viennent chercher ce petit « plus » qui fait toute la différence. En spiritualité cette différence, c’est Dieu.
Théo. – Dans le Coran, Dieu n’a-t-il pas affirmé que tous, désormais, peuvent avoir accès directement à Lui ?
Malik. – C’est vrai, mais qui y arrive vraiment ? Qui arrive à se libérer de la tyrannie de l’ego ? Un maître spirituel est celui qui a totalement fusionné avec Dieu. Il est « sans être ». Il est à la fois totalement humain et totalement divin. Il a atteint la perfection dans l’imperfection. Quand il accepte de guider un disciple, il l’initie.
Théo. – Vous voulez dire que rares sont les disciples qui sont acceptés par un maître spirituel ?
Malik. – Quand une sœur ou un frère est initié par un maître spirituel, celui-ci prend la totale responsabilité de son disciple. C’est pour cela que le Maître est très prudent quand il s’engage. Il assumera la moindre erreur de son disciple. Il est prêt à tout lui donner jusqu’à sa vie même. Un maître est totalement abandonné à Dieu. En fait, Il est le serviteur de Dieu et de son disciple. Le lien qui est établi est un lien de cœur à cœur, un lien d’amour.
Théo. – Le Maître représente-t-il « l’Homme Universel » ?
Malik énonce le hadith :
– « Celui qui me voit, voit la Vérité » … silence …
Théo a l’habitude de ce mode de communication avec l’Ancien. Elle est essentiellement non verbale.
Il sait que Malik le sollicite à l’intérieur.
Théo brise le silence :
– Je préfère l’accès à Dieu par l’Amour.
Malik reste impassible :
– Sans amour rien ne se fait … silence …
Il est le miroir de ce monde
La Réalité de toutes choses … silence …
Théo. – Quel conseil donneriez-vous à un chercheur spirituel ?
Malik. – Celui qui cherche Dieu doit avancer sur le chemin. Tout d’abord il transforme ses défauts en qualités. Pour cela chaque soir, il fait son introspection avec son regard intérieur tourné vers le Réel. Il purifie également son esprit et cultive les vertus, celles offertes par Dieu à l’homme. Il passera alors de la « certitude de la Vision » à la « réalisation de la Certitude ».
Théo. – Qu’est-ce que la Certitude ?
Malik. – L’introspection est graduelle. Le chercheur débute avec les lois dictées par la religion qui pose ce qui est licite ou illicite. L’étape suivante est celle de la foi pour finir avec la certitude spirituelle, la Quintessence.
Théophile l’Ancien
Extrait de Dialogues avec Théophile l’Ancien
L’initiation de Théophile le Jeune