Théo. – Pouvons-nous revenir à l’expérience du flow et aller plus loin dans son approche. Je trouve qu’elle donne accès à un état d’être des plus spirituels et surtout à une façon de conduire sa vie avec ce fameux équilibre entre le matériel et le spirituel. Les bouddhistes en ont parlé en recommandant une totale présence dans chacune de nos actions. Je n’arrivais pas à comprendre comment une telle rigueur de vie pouvait amener la joie bon-enfant et la sérénité qui émanent en permanence du Dalaï Lama.
L’Ancien. – Quand le cœur, l’esprit, la volonté sont en harmonie, la pensée n’est pas conflictuelle. Elle est sereine et les projets à réaliser sont clairs. C’est ce qui doit être fait. C’est en soi. Personne n’a besoin de te le confirmer et si quelqu’un n’est pas de cet avis, c’est son problème, non le tien. Il y a un alignement intérieur et tu sais absolument ce qui est juste pour toi.
Théo. – Et c’est le cœur qui intègre toutes ces composantes ?
L’Ancien. – En effet, c’est lui qui crée l’unité en toi. L’action devient évidente. Les objectifs et les pensées conflictuelles sont naturellement écartés.
L’Ancien. – Je sais que tu as des choix de vie à faire, des études à finir, une profession à embrasser et beaucoup d’autres possibilités qui se présenteront.
Théo. – Que me conseilles-tu ?
L’Ancien. – D’attendre et surtout de laisser venir à toi.
Théo. – Facile à dire : pour toi tout est clair, c’est normal à ton âge.
L’Ancien. – Détrompe-toi, c’est un impatient qui te parle. Chariji m’a dit un jour de tourner mon impatience vers la quête de l’Ultime. Il appelait cela « restlessness », le « sans-repos », par contraste avec l’impatience qui est une marque de l’ego.
Théo. – Tu as déjà montré comment subjuguer l’ego, l’orienter, mais je reste impatient. Je veux tout comprendre, vivre intensément, être dans l’excellence.
L’Ancien. – C’est naturel, c’est juste. La nature t’a doté de cette énergie de la jeunesse pour réaliser tout cela et plus encore. Fonce, mais sur le flux de la vague. Tu ne crées pas la vague, c’est l’océan qui le fait en conjonction avec le vent, la lune et bien d’autres éléments.
Théo. – Attendre la bonne vague autant que nécessaire puis bondir dessus et se laisser porter. C’est bien ce que tu me proposes.
L’Ancien. – Exactement, quand le flow est là, on sait parfaitement où l’on est. Tout devient clair et compatible et tu vis intensément.
Théo. – Est-ce dans cette perspective que tu as si souvent donné des conseils de vie ?
L’Ancien. – Oui, mais un bon conseil sans la bonne vague, à quoi cela sert-il ? Chacun a un cœur dans lequel est inscrite sa propre destinée. Je préfère apprendre à utiliser le cœur plutôt que de donner des solutions.
Théo. – Je reconnais le vieux proverbe chinois : « Il est préférable d’apprendre à pêcher que de donner du poisson. »
L’Ancien, souriant :
– Un petit poisson de temps en temps ça fait quand même du bien.
Théo. – Mais tu es végétarien !
L’Ancien. – Raison de plus. Je me nourris beaucoup de métaphores.
Théo. – L’expérience optimale est donc une invitation permanente au dépassement.
L’Ancien. – That’s life!
Théo. – On peut donc l’étendre à tous les champs d’activité : travail, loisir, social …
L’Ancien. – J’ai appliqué l’attention optimale au domaine spirituel et tout le reste a suivi.
Théo. – Il y a encore un point qui reste important à définir. C’est l’acquisition des compétences, des qualifications.
L’Ancien. – Elles sont nécessaires. Le travail et l’étude permettent d’acquérir un savoir-faire sans lequel on ne saurait progresser. La paresse et l’oisiveté donnent une sensation d’apathie et d’indifférence qui est néfaste à l’homme.
Théo. – Si je comprends bien tu me proposes de m’impliquer à fond dans tout ce que j’entreprends si je veux vivre le flow dans mes relations, mon travail et ma spiritualité.
L’Ancien. – Tout à fait, mais immobile, en ton centre, connecté à ton cœur pour être connecté au sujet et sentir la direction que va prendre ton action … sans action !
Son œil malicieux s’illumine.
Théo. – Et si cela ne vient pas, j’attends. C’est ce qui est plus difficile.
L’Ancien. – Qui a dit que la méditation n’était pas une action ? Et puis, tu peux attendre de tant de manières : en te distrayant, en te promenant, en rencontrant des amis, de la famille, en donnant de ton temps et de ton énergie.
Théo. – Comme avec la roue, mais une roue aimante, immobile en son centre et en mouvement dans sa périphérie.
L’Ancien. – Etre au centre de son cœur génère de l’inspiration, mais surtout de l’amour. La périphérie permet de le vivre et de le partager tous azimuts.
Théo. – Dans ces conditions, je suis prêt à attendre éternellement.
L’Ancien. – C’est ce que fait le Divin en nous. Il nous invite à être comme lui.
Théo. – La mystique, c’est une maladie chronique chez toi ! Tu ne peux t’empêcher de l’évoquer à chaque instant, en toutes circonstances.
L’Ancien, goguenard :
– Je ne cherche même pas à en guérir. Je regarde tout au travers de l’âme et c’est beau. J’ai par contre renoncé au masochisme de l’ego. Tu vois, je reviens au sujet: la psychologie positive.
«Prendre l’habitude de faire ce que nous devons faire avec compétence,
Avec une attention concentrée, même dans les tâches les plus routinières.»
Théo. – Encore un proverbe du bouddhisme Zen.
L’Ancien. – Non, c’est une citation de Mihaly Csikszenmihalyi.
Théo. – Dans les pratiques avancées, tu m’as encouragé au « repos », à la quiétude et maintenant tu m’encourages avec l’expérience optimale à l’effort optimal. Encore un oxymore comme tu les aimes. Je me suis habitué à la « lumière obscure » et là …
L’Ancien. – Ce qui est important, l’interrompt le vieil homme, c’est de se déconditionner. La conscience humaine est sans limites, nos possibilités sont infinies. Il y a des bases essentielles à acquérir, puis il nous faut les dépasser, les transcender, voire les oublier. De nos jours avec la physique quantique, il y a eu de grandes avancées dans les consciences. Ainsi, les gens acceptent volontiers que l’on puisse plier l’espace et que cela permette de se déplacer instantanément à des distances en années lumières. De même, il est reconnu que l’observateur peut changer l’expérience par sa seule observation. Aujourd’hui, on évoque facilement l’effet papillon, ce qui était appelé miracle il y a peu de temps. La magie est en réalité une science et l’humanité, étant un peu moins primitive, commence à le comprendre.
Théo. – Oui, mais cela reste dans le domaine extérieur et physique.
L’Ancien. – En effet, il y a les quatre forces reconnues (Force nucléaire forte, Force électromagnétique, Force gravitationnelle, Force nucléaire faible), mais les scientifiques n’ont pas encore découvert la force de l’amour, « la force sans force ». Cela ne l’empêche pas d’être en action. Elle est plus vitale que l’oxygène.
Théophile l’Ancien
Extrait de Dialogues avec Théophile l’Ancien
L’initiation de Théophile le Jeune