Théophile est venu passer un moment avec son ami Abel comme il a coutume de le faire en fin d’après-midi quand la chaleur se fait moins lourde.

– A la suite de nos dernières conversations j’ai trouvé qu’avec l’âge tu te tournais de plus en plus vers la mystique. Tu ne parles que d’amour et d’abandon … le taquine Théophile l’Ancien.

– Autrefois je considérais les mystiques comme des dévots émotionnels, je préférais la connaissance à la mystique, mais depuis j’ai renoncé à cette recherche, ou peut-être c’est elle qui a renoncé à moi ! s’exclame Abel en riant.
J’ai toujours voulu comprendre les lois qui régissent l’univers et les hommes, mais il y avait toujours un manque. Il faut avouer que je me méfie de l’intellect et de ses méandres. Avec le raisonnement on peut tout justifier ! Mais nous n’allons pas revenir sur le sujet, cela fait trente ans que tu m’entends dire les mêmes choses.

– Hier J’ai pensé à toi en lisant des écrits de mystiques chrétiens et soufis poursuit Théophile. Les deux évoquent l’extinction : elle s’appelle « fana » pour les soufis et « anéantissement » pour les chrétiens. Ils aspirent ainsi à laisser toute la place à Dieu en eux, par l’extinction du moi. Ils cultivent aussi intensément la Présence à chaque instant de leur vie.

Abel. – Cela n’est-il pas un peu radical et trop religieux ?

L’Ancien. – Ce qui compte, c’est ce que ces chercheurs ont réalisé au cours de leur vie. Certains sont devenus Amour comme Mâ Ananda Moyî. Tu te souviens ? Nous l’avions rencontrée en Inde dans les années 70.

Abel. – Mais c’est une hindoue et c’était un contexte bien particulier.

L’Ancien. – Parmi les mystiques, certains sont taoïstes ou suivent des voies différentes, mais tous ont décrit les mêmes états de l’âme. Ce qui variait, c’était leur mode d’expression dépendant de leur époque et de leur culture.

Abel secoue la tête, dubitatif :
– Alors tu reprends tes vieilles habitudes de doute ? lance Théophile amusé.

Abel. – De toute façon cela revient au même, il faut mourir à soi-même pour renaître au Divin en soi n’est ce pas ?

L’Ancien. – Nous sommes bien d’accord et si possible, entièrement dans l’amour.

Abel. – Je trouve qu’avant cette « mort », l’agonie du moi est parfois très longue, trop longue à mon goût.

L’Ancien. – C’est pour cela que la plupart des transformations s’opèrent pendant les méditations profondes ou durant le sommeil.

Abel répond avec humour :
– Alors, je dois réellement me transformer, car je dors beaucoup quand je ne médite pas ! Au moins à ce moment-là je ne résiste pas et mon mental est enfin au repos.

L’Ancien. – J’insiste encore sur l’amour, avec l’amour tout se passe plus en douceur. C’est pour cela que nous nous relions aux grands êtres du présent ou du passé. Ils sont comme des mères spirituelles pour nous. Ils nous aiment et nous accompagnent tout au long de notre cheminement spirituel.

Abel. – Je les perçois comme des passeurs d’âmes. J’ai l’impression qu’ils adoucissent notre chemin, aplanissant les obstacles que nous rencontrons. Ces dernières années, par moments j’ai eu la sensation qu’ils me portaient.

L’Ancien. – Ce sont des moments de grâce !

Abel. – Dans ces moments je sens un élan qui s’élève de mon cœur, est-ce cela que tu appelles « prière » ?

En guise de réponse, la voix de Théophile se fait murmure pour citer leur mystique favorite, Jeanne Guyon :

«  La prière est une effusion du cœur en présence de Dieu, c’est une oraison. »
Silence
« La prière n’est autre qu’une chaleur d’amour qui fond et dissout l’âme, la subtilise et la fait monter à Dieu. »

Silence
« La présence de Dieu fait fondre la dureté de l’âme. »

Silence
« Il faut cesser d’être, afin que le Verbe soit en nous, afin qu’Il vive Lui-même en nous. »

Silence

Les deux hommes s’installent dans ce silence qui les entraîne naturellement dans une profonde méditation.

Théophile l’Ancien
Extrait de Dialogues avec Théophile l’Ancien
Echanges avec Abel