Après son expérience dans la montagne, Théo voudrait approfondir la notion de Maître.

Théo. – J’avais bien compris ce que ton ami Malik m’avait dit sur la grande qualification spirituelle d’un Maître de Sagesse, mais ce que j’ai vécu dans la montagne m’a permis d’aborder une dimension qui m’a complètement subjugué. Peux-tu m’éclairer sur cette notion de Maître ?

L’Ancien. – Un Maître de Sagesse vient sur Terre pour un travail spécifique. Ce n’est pas une qualification pour un travail personnel. Il est mandaté. Les anciens taoïstes parlaient d’un mandat céleste. Les Maîtres de Sagesse appartiennent tous à une lignée spirituelle. Chaque Maître est formé par son propre Maître, parfois plusieurs Maîtres, qui appartiennent à cette dimension ou à une autre. Il commence par être aspirant et très vite il devient disciple.

Théo. – Pourquoi ne pas être Maître d’emblée ?

L’Ancien. – C’est comme un petit être humain, il y a un temps, un rythme à respecter dans la maturation, de l’embryon à l’âge adulte. Les lois des trois mondes doivent être respectées. Il en va de même pour la formation d’un Maître de Sagesse : sauf exception, il est formé pendant trente à quarante ans. Tous doivent être éveillés et initiés à eux-mêmes par un maître.

Théo. – Comme Jésus-Christ avec Jean-Baptiste ?

L’Ancien. – C’est un bon exemple. Il a reçu divers degrés d’initiation par les écoles d’Assyrie, d’Égypte et d’Inde avant de devenir le Christ.
Chaque Maître est sous la guidance divine. Le pouvoir, pour remplir sa mission sacrée, est imparti par Dieu. A chaque étape, à chaque initiation, il est mis à l’épreuve.

Théo. – Pourquoi ? Dans quel but ?

L’Ancien. – C’est comme en classe, pour la validation des acquis. L’enseignant doit être sûr que la leçon a été assimilée avant de passer à la suivante. La conscience et les compétences se mettent en place graduellement pour se déployer ensuite. Il est difficile de respecter la nature humaine en y intégrant harmonieusement les dimensions spirituelles et divines. Elles ont leurs propres lois et fonctionnements.

Théo. – Tu veux dire que ce n’est pas très facile pour eux ?

L’Ancien. – En fait c’est encore plus ardu pour eux. Ils doivent parcourir deux fois le chemin qui mène au sommet de la montagne : la première fois comme disciples, en aveugles en quelque sorte, conduits par l’intuition et le Maître, puis une seconde fois où ils doivent parcourir de nouveau le Sentier, mais comme futurs enseignants. Ils doivent connaître tous les aspects du Chemin, chaque difficulté, chaque obstacle car ils devront guider pas à pas chacun des aspirants et chacun des disciples. Tu peux les comparer à ces guides de haute montagne qui non seulement doivent être de parfaits alpinistes, aguerris et expérimentés, mais devront aussi passer un examen difficile leur permettant de pouvoir assurer la progression et la sécurité de tous les gens qu’ils emmèneront avec eux. Le guide devra connaître chaque difficulté du parcours, adapter son pas à la capacité du voyageur qui le suit et évaluer ses difficultés à chaque obstacle.

Un silence s’installe. Théo semble réfléchir et peser ce qu’il comprend.

L’Ancien reprend :
– Tu vois bien qu’ici la connaissance ne peut pas être intellectuelle. Un maître doit réellement apprendre au travers de l’expérience et de la souffrance. Il se doit de connaître chaque aspect de ce que va endurer le chercheur qu’il va guider jusqu’à l’Ultime.

– Pourquoi la souffrance ? demande Théo visiblement contrarié.

L’Ancien. – Un maître doit connaître réellement tout ce que ses futurs disciples sont susceptibles d’endurer au cours de leur initiation.

Théo. – L’empathie ne suffit-elle pas ?

L’Ancien. – Non, car lorsque son disciple sera bloqué au niveau de la pensée, de l’émotion ou d’une tendance égotique, il devra l’aider à dépasser cette difficulté, tout en comprenant sa douleur ou le désespoir de ne pas y arriver, voire de ne jamais y arriver.

Théo. – Cela apprend l’humilité, l’abandon au Divin.

L’Ancien. – Un enseignant qui a connu des difficultés durant son apprentissage sera un bien meilleur enseignant. Un surdoué qui doit enseigner les mathématiques à l’école primaire comprendra moins bien les difficultés de son élève. Il se dira : « C’est évident, il pourrait faire un effort », car pour lui cette étape aura été facile. Il ne comprendra pas forcément le mal-être du novice.

Théo. – J’imagine aisément les affres de la division et de la multiplication aussi bien pour le petit enfant que pour l’enseignant docteur en mathématiques qui doit saisir la difficulté quasi insurmontable d’un bout de chou du primaire !

L’Ancien. – Un maître a une difficulté supplémentaire quand son élève ne peut réellement plus avancer. Il se voit dans l’obligation de cœur de prendre sur lui le karma de son disciple pour qu’il puisse poursuivre son ascension quel qu’en soit le prix pour lui-même.
Il y a une très belle parabole des pas dans le sable (cf. bas de page) qui illustre bien ce passage des difficultés de la vie où on se sent seul et abandonné alors que le Maître est justement en train de nous porter.

Théo. – Cela me fait penser à l’entraînement des maîtres d’arts martiaux, « à la dure » !

L’Ancien. – Oui et à l’Amour aussi, car il devra faire face à toutes formes de difficultés et de douleurs. Il devra être fort, puissant, flexible et doux en même temps. Le travail se fait toujours à partir du cœur et par l’Amour. Un maître ne peut avoir aucun préjugé. Il doit être capable de se sacrifier pour ses disciples, être prêt à donner sa vie pour eux.

Théo. – C’est plus un serviteur qu’un maître alors.

L’Ancien. – Il n’a qu’un seul Maître et c’est Dieu. Il sert Dieu en chacun car il voit Dieu en chacun. Il se soumet à Dieu en Chacun. Il aime Dieu en Chacun. C’est pour cela qu’il est dit :
« Dieu court après le dévot qui se fond dans son Maître. »

Théo. – Qu’est-ce que cela veut dire ?

L’Ancien. – Qu’il est semblable à « Dieu Rien Tout » et que Dieu se voit en lui. C’est le stade d’Unicité.

L’Ancien ajoute :
– « Le Maître est tout Dieu, mais pas entièrement Dieu. »

Théo sait qu’il ne peut comprendre par l’intellect. Il se met alors en résonance avec l’Ancien. La paix s’installe en lui jusqu’à l’infini de son être, là où tout devient clair et limpide. Tout s’intègre parfaitement laissant le mental apaisé et le cœur comblé.

Théophile l’Ancien
Extrait de Dialogues avec Théophile l’Ancien
L’initiation de Théophile le Jeune

 

Une nuit, j’ai eu un songe.

J’ai rêvé que je marchais le long d’une plage, en compagnie du Seigneur.
Dans le ciel apparaissaient, les unes après les autres, toutes les scènes de ma vie.

J’ai regardé en arrière et j’ai vu qu’à chaque période de ma vie,
il y avait deux paires de traces sur le sable :
L’une était la mienne, l’autre était celle du Seigneur.

Ainsi nous continuions à marcher,
jusqu’à ce que tous les jours de ma vie aient défilé devant moi.
Alors je me suis arrêté et j’ai regardé en arrière.
J’ai remarqué qu’en certains endroits,
il n’y avait qu’une seule paire d’empreintes,
et cela correspondait exactement avec les jours les plus difficiles de ma vie,
les jours de plus grande angoisse,
de plus grande peur et aussi de plus grande douleur.

Je l’ai donc interrogé :
« Seigneur… tu m’as dit que tu étais avec moi tous les jours de ma vie
et j’ai accepté de vivre avec Toi.
Mais j’ai remarqué que dans les pires moments de ma vie,
il n’y avait qu’une seule trace de pas.
Je ne peux pas comprendre
que tu m’aies laissé seul aux moments où j’avais le plus besoin de Toi. »

Et le Seigneur répondit :
« Mon fils, tu m’es tellement précieux ! Je t’aime !
Je ne t’aurais jamais abandonné, pas même une seule minute !
Les jours où tu n’as vu qu’une seule trace de pas sur le sable,
ces jours d’épreuves et de souffrances, eh bien ! c’était moi qui te portais. »