L’Ancien emmène Théophile le Jeune dans un lieu secret au cœur de la montagne, pour rencontrer un des membres de l’assemblée des Maîtres de Sagesse. Les deux hommes marchent longtemps en silence.

Ils arrivent enfin dans un lieu dissimulé par des broussailles et quelques arbres qui semblent le protéger.

Un peu essoufflé l’Ancien explique :
– Je vais te faire rencontrer mon Maître spirituel, celui qui me guide depuis toujours sur le chemin de Vérité. Il répondra à bien des questions.

Les deux hommes s’inclinent respectueusement devant un homme sans âge, d’une fragilité apparente que dément la puissance qui se dégage de lui.

Le Sage. – Je vous salue bien mes frères, dit-il doucement, mais distinctement.

Sa voix est parfaitement claire tandis qu’il semble ne pas avoir parlé.

L’Ancien. – Accepteriez-vous d’éclairer mon jeune ami qui se pose tant de questions sur sa destinée ?

Le Sage. – Bien sûr, nous sommes entre frères.
Tout est la volonté du Seigneur Dieu. S’Il le veut, nous pourrons cheminer ensemble dans l’Eternité. Les attachements humains n’ont plus cours dans notre dimension. Nous sommes tous reliés les uns aux autres. Nous faisons peu cas de nos identités respectives, bien que nous puissions les distinguer. L’Amour, Son Amour, nous unit les uns aux autres. Notre tâche est d’amener toute l’humanité dans cette dimension d’Amour. Il y a encore beaucoup de travail à faire, cependant notre patience est infinie, car nous percevons déjà en nous-mêmes le moment où cette union sera effective. Le secret est de voir toutes les âmes issues de Dieu avant leur création, au moment où elles ont établi le Pacte avec le Seigneur Dieu et de savoir, d’affirmer, que ce lien d’éternité, présent en toute créature divine va se manifester sous peu en chacune d’elles. Il n’y a pas de rupture mais une chaîne de continuité dans l’amour.

Théo. – Que vivons-nous entre ces deux moments ? Est-ce cela que nous appelons maya (illusion) ?

Le Sage. – Le tout appartient à la Réalité. Ce que vous êtes est de l’ordre de la création.

Théo. – Cela me dépasse…

Le Sage. – Tu le saisiras en son temps. Il est difficile pour un être incarné de comprendre la nécessité de l’incarnation. Dieu a voulu nous créer à son image, cela veut dire qu’il a conféré à l’homme tous ses attributs, dont celui du pouvoir créateur. Un créateur ne peut avoir de limites. Le Seigneur s’est donné lui-même dans chacune de ses créatures humaines, puis il a laissé chaque cellule se déployer librement. Les enveloppes ont créé ce que tu connais, elles ont eu des effets qui, au fur et à mesure de l’évolution, se sont atténués pour disparaître chez des personnes aux identités comme celles de l’assemblée de sagesse. Le pouvoir créateur est à son plus haut potentiel parmi ses membres. Chacun d’entre nous peut donner sa pleine mesure et comme nous sommes un, nous donnons la mesure dans la totalité de ce que le Seigneur attend de nous. Perçois-tu cela ? Il n’y a pas de volonté propre mais un souffle, une énergie qui a une direction. Nous sommes donc multidirectionnels à partir du Centre qu’est le Divin, libéré en chacun de nous. Nous représentons aussi la complétude de Dieu. Il est toujours possible de nous distinguer mais nous sommes indistincts. Nous sommes une couleur, un son, une expression de la perfection divine et ce qu’il en sort est Son chef-d’œuvre.
Le chef-d’œuvre est en construction si l’on regarde par le filtre du temps, mais il est déjà accompli là où nous résidons. C’est ce que vous appelez le plan, mais il n’y a pas de plan proprement dit, puisque tout est déjà là. Quand tu vis dans l’espace du temps, tu es en mesure d’accomplir le plan de Dieu. Il ne peut y avoir de contrainte chez les créatures de Dieu car une contrainte créerait une impression et diminuerait le pouvoir créateur de Dieu dans l’être. C’est la raison de l’existence du libre arbitre. Chaque être passe par une maturation qui prend des milliers d’années. Quand l’être est prêt, tel un poussin qui brise sa coquille, il devient ce que nous sommes ici dans l’assemblée de sagesse, à l’image de Dieu. Dieu a accompli son œuvre. Il s’est multiplié à l’infini dans tous les espaces, toutes les dimensions. Il se réjouit, Il n’est plus seul. Il s’est perpétué en nous dans toute Sa grandeur.
L’être humain est sans limite dans ses potentialités. Voilà où il peut aller s’il le souhaite et c’est grand. Le Seigneur a une patience infinie. Il attend et se réjouit à chaque fois que l’une de ses créatures devient comme Lui.

Théo. – Qu’est-ce qui peut empêcher que cela ait lieu ?

Le Sage. – Nous-mêmes. C’est à cause de notre pouvoir créateur. Nous l’utilisons à notre gré, sinon il n’y aurait pas de pleine mesure du Divin en nous. Nous sommes comme un jeune chat, nous nous laissons distraire par tout ce qui se passe autour de nous, une pelote de laine, un papillon. Nous sommes dotés de la capacité d’émerveillement, de spontanéité et d’innocence. Nous finissons souvent comme le chat adulte : il peut rester des heures immobile ou quand il chasse, totalement concentré sur l’objet de sa chasse.
Quand l’homme en a fini avec ses amusements et la joie juvénile de la découverte de son milieu ambiant, il a accompli ses propres expériences pour s’approprier le monde qui l’entoure. Quand tout cela lui paraît suffisant, il tourne son attention vers son monde intérieur où il va trouver Dieu. Il a ressenti l’appel du Seigneur Dieu en son centre, appel qui sera de plus en plus en plus intense, jusqu’au moment où l’homme fera un avec Lui ; il sera semblable à Dieu dans son incarnation et le cycle sera achevé. Tu vois Théo, la manière dont Dieu a divinisé sa créature : chaque étape du processus est nécessaire et contribue à Son œuvre. C’est à l’image du développement du fœtus qui part d’une, puis deux cellules. Il continue son développement et passe par tous les stades de l’évolution. Il l’a commencé dans le milieu aquatique, il le continuera dans le monde aérien, puis au travers de toutes les dimensions de l’âme.

A cet instant Théophile le Jeune semble se réveiller et sortir d’une profonde méditation. Il se retrouve assis dans la montagne aux côtés de Théophile l’Ancien qui garde les yeux mi-clos ; seul un léger sourire anime son visage. Théophile le Jeune ne sait plus s’il s’est déplacé dans la montagne et a vraiment rencontré le Sage ou s’il s’est plongé dans la grotte de son cœur.

Ne voulant pas montrer son trouble, il se contente de dire :
– Quelle magnifique dimension tu m’as montrée. J’aimerais y accéder plus souvent.

Le vieil homme ne bouge pas d’un cil et continue de sourire sans rien dire.

Théophile l’Ancien
Extrait de Dialogues avec Théophile l’Ancien
L’initiation de Théophile le Jeune