Théo. – L’autre jour tu me racontais ta quête spirituelle, est-ce que tu m’as dit que tu avais rencontré Shri Ram Chandra. Est-ce que tu cherchais un maître indien ?

L’Ancien. – Non, je cherchais Dieu par l’intérieur, sans blabla, par l’expérience directe.

Théo. – Qu’est-ce qui t’a donné confiance et convaincu d’être avec la bonne personne ?

L’Ancien. – Les résultats de la pratique spirituelle. J’avais une direction dans ma quête et Dieu m’avait prouvé que j’étais entre de bonnes mains, dans la bonne voie.

Théo. – Quel a été ton premier contact avec Dieu ?

L’Ancien. – J’avais treize ans. En classe notre professeur de français nous avait proposé de rédiger une rédaction libre. Je décidai de décrire un voyage intérieur, que je ferais en classe et que je décrirais au fur et à mesure de mon avancée. Vers la fin de mon expérience, je me suis retrouvé face à un trône de lumière dans lequel était assis un être de lumière. J’étais ébloui, subjugué. C’était si fort que je me prosternai devant lui, m’allongeai, tendant mes mains pour toucher ses pieds de lumière. Au moment du contact, il m’absorba en lui et alors j’ai fusionné avec lui.

Théo. – Et tu as décrit cette expérience à ton professeur de français ?

– Pas exactement, j’ai écrit que j’avais fusionné avec mon Soi .N’oublie pas que j’étais à Saint Ouen, en pays communiste, dit l’Ancien en souriant.

Théo. – En Yoga, le Soi est aussi appelé l’Atman, n’est-ce pas ?

L’Ancien. – Qui n’est autre que la pure expression du Divin dans l’homme.
Dieu ne m’a jamais lâché. Il m’a confié à mes Maîtres spirituels jusqu’à ce que je sois suffisamment mature pour être directement en contact avec lui.

Théo. – Et c’est comment ?

L’Ancien. – Simple, pour ne pas dire très simple.

Théo. – Pourquoi ne s’est il pas occupé directement de toi ?

L’Ancien. – C’est ce qu’il a fait, en me confiant tout d’abord à ma mère qui a été mon premier Maître, puis à des Maîtres réalisés : ce fut tout d’abord Babuji puis quand celui ci a quitté ce monde, Chariji.

Théo. – Ta quête était de Dieu, et non celle d’un maître, aussi évolué fût-il ? Quel est l’avantage d’avoir un maître spirituel ?

L’Ancien. – Comme mes parents l’avaient été quand j’étais enfant et adolescent, il est un exemple de vie, un modèle. Le maître spirituel est un être qui a réalisé l’Ultime au travers de sa propre humanité. Il est pourvu d’un corps, d’un mental, d’un intellect et d’une âme tout comme nous. Il aspire à l’Ultime, mais tout comme nous, il rencontre les mêmes difficultés. Il souffre comme nous. Il a parcouru deux fois le Chemin de Vérité (sadpad) qui mène au Suprême.

Théo. – Pourquoi deux fois ?

L’Ancien. – La première fois comme disciple, dans le brouillard, comme chacun d’entre nous, puis une deuxième fois comme futur Maître afin de connaître précisément le sentier initiatique, avec tous ses obstacles, tous ses dangers, tous ses raccourcis …

Théo. – Quel est le plus grand danger sur le Sentier ? On parle de démons, de gardien de seuil.

L’Ancien. – Non, juste nous-mêmes, avec nos tendances, notre ego …
Avant de pouvoir nous unir avec Dieu, il faut d’abord nous purifier, ce qui revient à nous débarrasser de toutes nos tendances, de nos samskaras, en bref, de nous simplifier.

Théo. – Passer du complexe que nous sommes, au simple qu’est Dieu.

L’Ancien. – Et oui, Dieu est Rien … Tout.

Théo. – Et nous sommes toujours trop !

L’Ancien. – Babuji disait : « De plus en plus de moins en moins. »

Théo. – Un vrai koan japonais, mais ça sonne bien.

L’Ancien. – Un guide spirituel incarné permet de travailler en même temps sur tous les plans de l’être, de visu pourrais-je dire.

Théo. – Quel est son but ?

L’Ancien. – Dans un premier temps nous enseigner le B, A, BA comme dans le Yoga, puis arriver à la méditation et à la purification du cœur. Quand le cœur est purifié nous pouvons entrer directement en contact avec notre maître intérieur. Nous l’appelons aussi atman, âme, Soi, Dieu. Et là, … le tour est joué.

Théo. – A quel moment sommes-nous directement en contact avec Dieu ?

L’Ancien. – Quand nous sommes devenus des adultes spirituels, après cette longue éducation confiée par Dieu à nos parents puis à nos Maîtres spirituels qui nous guident sur le chemin.

Théo. – Si j’ai bien compris, ta famille n’était pas très portée sur la religion et les Maîtres spirituels. Comment s’est passé pour toi le moment de te confier à un maître ?

L’Ancien. – Tout naturellement ; ma famille croyait en la Providence, nous étions très attentifs aux coïncidences, aux signes. Mon père disait : « Le hasard, c’est Dieu qui passe incognito. » Mes parents se méfiaient des gurus et des institutions, mais ils adoraient se référer aux Maîtres qui ne sont plus de ce monde.

Théo. – Lesquels ?

L’Ancien. – Maître Jésus, Bouddha, Krishna, les saints du passé. Pour les vivants, la méfiance était de rigueur.

Théo. – Et pour toi ?

L’Ancien. – Je cherchais un maître, mais je ne savais pas ce que c’était. A l’époque, je cherchais plus un enseignant qui allait m’apprendre ce dont j’avais besoin, mais un Maître c’est tout autre chose.

Théo. – Comment l’as-tu découvert ?

L’Ancien. – Par petites touches, en pratiquant la méditation sur le cœur et en appréciant les effets de la transmission. Ma première rencontre avec Babuji, à Nice, a été déterminante. Elle m’a bouleversé. Au premier contact avec Babuji, je ne voulais plus jamais le quitter.

Théo. – Pourquoi ?

L’Ancien. – A l’époque je ne savais pas. Mon approche, tout comme celle de mes parents, était intellectuelle, par la connaissance.

Théo. – Le jnana-yoga ! C’est pour cela que tu appréciais les Roses-Croix, les anthroposophes et les théosophes…

L’Ancien. – Oui, mais j’en avais constaté les limites. Savoir n’est pas être. Avec Babuji, j’avais en face de moi un maître, comme ils étaient décrits dans lelivre La vie des Maîtres de Spalding ou dans L’autobiographie d’un yogi de Yogananda. Ce n’était plus de la littérature, mais un être vivant, un saint, que j’avais en face de moi.

Théo. – Pas de méfiance ?

L’Ancien. – Je l’ai gardée à feu doux. Six mois plus tard, j’allai visiter Babuji à Shajahanpur en Inde. Pendant ce voyage, je rencontrai à Bénares le Dalaï lama, la sainte, Ma Ananda Mayi ainsi que nombre de gurus différents à la kumbaméla d’Allahabad. Imagine, l’un d’eux vivait depuis deux cent soixante ans, mais aucun d’entre eux n’avait su toucher mon cœur comme Babuji, pas même Kalu Rimpoché, ni le Karmapa que j’admirais et que je considérais comme de grands Maîtres.

Théo. – Quand as-tu reconnu Shri Ram Chandra (Babuji) comme ton Maître spirituel ?

L’Ancien. – A mon second voyage en Inde lorsque mon maître intérieur a reconnu Babuji comme Maître divin. Mon cœur a décidé de lui faire totalement confiance, ma tête a suivi. Ma vraie quête de l’Ultime pouvait commencer.

Théo. – Qu’est ce qui manquait avant ?

L’Ancien. – L’Amour sublime qui change toute l’approche de Dieu.

Théo. – Mais tu avais déjà été fait formateur du Sahaj Marg ?

L’Ancien. – Oui, mais le raja-yoga, pour être complet, demande d’associer le bhakti-yoga, le jnana-yoga, et le karma-yoga ; mais surtout, le raja-yoga qu’ils constituent doit être animé par le cœur, dont l’essence est l’Amour Sublime.

Théo. – Qu’est ce que cela a changé pour toi ?

L’Ancien. – Je pouvais enfin totalement m’abandonner à mon divin Maître. Il allait me mener à Dieu.

Théo. – Avais-tu compris comment ?

L’Ancien. – Pas du tout, quand, en CP, tu apprends à lire, tu n’es pas en mesure de comprendre la pédagogie de ton maître d’école, mais si tu suis bien ses instructions, six mois après, tu es capable de lire et d’écrire. Douze années plus tard, tu peux entrer en faculté. Il faudra encore cinq ans pour obtenir ton master et alors …

Théo. – Rien n’est encore vraiment fait ?

L’Ancien. – L’enseignement des Maîtres spirituels est mystérieux, tu le sais déjà. Peut-être qu’un jour il nous sera permis de comprendre.

Théo. – Lorsque que nous en serons à parcourir une deuxième fois le Sentier initiatique ?

L’Ancien sourit et se plonge dans le silence.

Théophile l’Ancien
Extrait de Dialogues avec Théophile l’Ancien
L’initiation de Théophile le Jeune