Théophile l’Ancien rend visite à sa très vieille amie. L’esprit de Thérésa est toujours aussi vif mais son corps l’est beaucoup moins.

– Ta visite me fait très plaisir, lui dit Thérésa. Que de chemin parcouru depuis ta tendre jeunesse !
Moi mon corps me lâche. Je me demande ce que je fais encore sur cette terre de souffrance. Je ne me sens plus d’aucune utilité. Ma famille a autre chose à faire que de s’occuper de moi.

– Je vois que tu débordes d’optimisme ce matin, plaisante Théophile l’Ancien.

– Vivre dans ces conditions, physiques et morales, est déprimant. La plupart du temps, je suis souffrante, je suis sans énergie. A quoi bon ? reprend-elle amère.

– « Tout à sa raison d’être. » comme le dit souvent notre vieil ami, répond doucement Théophile.

Thérésa s’agace :
– « Etre », je suis d’accord, mais « la raison » je ne la trouve pas.

Théophile la taquine gentiment :
– J e vois qu’il te reste ton esprit combatif et cela demande aussi beaucoup d’énergie !

Souriant à son tour Thérésa s’adoucit :
– Quand je te rencontre, je retrouve mon énergie. Je me sens joyeuse. Toi, tu ne me vois pas comme une vieille dame décatie.

– Tu connais mon secret ? interroge Théophile. Je ne vois que les âmes, que cela soit ma petite-fille de trois ans ou toi, cela ne fait aucune différence pour moi.

– Tu as l’art du compliment ! C’est le retour à l’enfance, réplique Thérésa avec une moue malicieuse.

– Le retour à l’innocence générée par ton cœur, jeune fille ! Là est toute la différence ! proteste Théophile.

Ils continuent ainsi pendant les dix minutes traditionnelles où ils aiment échanger les nouvelles du quotidien jusqu’au moment de la bascule dans la dimension spirituelle. L’atmosphère se fait alors plus feutrée, le silence s’intensifie entre les mots et même dans les mots. La communication des cœurs devient pleinement le centre de leur échange.

– Cela fait longtemps que nous nous connaissons Théophile. Tu sais combien il est difficile de pratiquer la méditation lorsque tu as peu d’énergie vitale et que parfois la douleur physique accapare ton esprit.

– Ce sont « les saisons de l’âme » mon amie. Chaque âge a sa beauté et ses inconvénients. Voudrais-tu revenir à l’enfance, l’adolescence ou tout autre âge de ta vie ?

Après un long moment de réflexion Thérésa reprend :
– Spirituellement, je ne voudrais pas être à un autre moment que celui-ci. Humainement … c’est une autre histoire ! En même temps c’est tellement lié au spirituel !

– Aurais-tu une vie idéale par hasard ?

– Mon âme est ravie, mon corps suit comme il peut, répond la vieille dame.

– Cela fait plus de cinquante ans que tu médites, la connexion avec le Divin est établie depuis bien longtemps déjà.

– Oui, mais je ne suis pas toujours consciente de cette connexion.

– Tu n’es pas toujours consciente de l’air que tu respires et pourtant tu respires en continu. Il en est de même avec le respir divin. Sans ce souffle nous ne pourrions pas vivre une seconde. En vieillissant, le corps et les facultés se dégradent inexorablement, mais l’âme monte en puissance. La transcendance t’invite de plus en plus à être avec elle. Tu te détaches naturellement et graduellement de tout ce qui n’est pas ton âme avant de devenir âme divine en totalité. C’est le but de l’opération. Quand l’âme décide de quitter ce corps, de laisser derrière elle cette personnalité, le processus de vieillissement nous aide à nous identifier totalement à notre âme, tout en nous détachant de notre corps, de notre personne et de toutes les mondanités. Quand ce travail aboutit comme il se doit, nous arrivons alors au stade de la « libération », au moment de quitter notre corps.

– Je préfère la libération avant de mourir comme dans le processus de la méditation où nous mourons à nous-mêmes, en quelque sorte, pour nous absorber totalement dans le Divin.

De toutes les façons cela reste difficile d’ignorer un corps quand il te fait souffrir en permanence. La douleur accapare trop mon attention, se plaint Thérésa.

– La douleur affine aussi notre sensitivité. Je peux te dire qu’elle m’a donné accès à plus d’humanité, plus de compassion. J’ai mieux compris mes frères et mes sœurs grâce à elle.

– Pour les femmes, les mères, la souffrance est leur quotidien tant elles se préoccupent des enfants, de leur mari, de leur famille, reprend-elle.

– Chariji faisait la distinction entre la douleur et la souffrance. La douleur est objective, disait-il. Nous pouvons la mesurer alors que la souffrance est plus subjective et dépend de l’attention que nous lui portons, elle est plus psychique.

– Développe un peu s’il te plaît.

– Tout dépend du niveau d’attention et de conscience de l’être, explique Théophile. Dans le raja-yoga, nous parlons de cinq enveloppes, de la plus dense à la plus subtile, certains parlent des cinq corps : le corps grossier ou corps physique, le corps d’énergie et nerveux, le corps mental, le corps du mental supérieur ou abstrait et enfin le corps causal ou de l’âme.
Veux-tu essayer de faire un exercice avec les cinq enveloppes ?

Thérésa, toujours intériorisée, ferme tranquillement les yeux.

– Laisse toi absorber par la lumière de ton cœur comme tu sais si bien le faire …
Entre en contact avec ton âme radieuse …
Laisse la imprégner tout ton espace intérieur …
Tu es Cela …
Laisse apparaître l’observateur en toi …
La conscience se déploie en toi … sur tous les plans de ton être …
Observe ton mental en liaison avec ton cœur … le sentiment de paix et d’harmonie qui s’en émane.
Ton âme est absorbée par la lumière et elle enveloppe d’amour toute ta personne.

– Merci Théophile, je me sens vraiment très en paix. C’est un état de grâce. Comment conserver cet état ? Cela m’est si difficile quand l’énergie vitale est basse. Tout mon corps est affecté, mon mental également ainsi que mes émotions. Je me sens si lasse physiquement.

– C’est la raison pour laquelle l’être mature spirituellement. Tu te considères comme une âme qui fait l’expérience de la vie humaine alors que la plupart des personnes se voient avant tout au travers de leur personnalité, de leur corps, de leur mental et de leurs émotions. Nous devons arriver à cet instant de notre vie où nous voyons tout par notre âme, sans que l’ego ou la personnalité n’interfère et ne déforme la réalité.

– Après plus de cinquante ans de méditation, mais surtout de fréquentation des Maîtres, je peux dire que je n’ai plus peur de la mort. Je dois même t’avouer que par moments, j’ai hâte de passer de l’autre côté tellement mon quotidien devient pénible et ma vie me semble inutile, soupire Thérésa.

– Excuse moi ma sœur, mais cette envie même montre que tu n’es pas encore tout à fait prête pour le grand voyage.

– Ah bon ? Pourquoi dis-tu ça ? Quels sont les signes qui permettent de savoir si je suis prête ou non ?

– Quand ton âme est équanime et regarde le fait d’être ici ou de l’autre côté de manière égale, cela est un premier signe. Le deuxième, c’est la compréhension et l’acceptation que tout ce que vit l’âme a un sens pour soi et pour le Divin.

– Je ne vois pas grand intérêt à être clouée chez soi sur un fauteuil et en plus d’être un fardeau pour mon entourage.

– Ta famille te donne-t-elle l’impression qu’elle voudrait te voir partir ?

– Non bien sûr, elle m’aime, proteste Thérésa.

– Et en retour ?

– Oui j’ai compris, je les aime aussi bien sûr. Et comme j’ai beaucoup de temps, je laisse l’amour et la compassion me traverser. Je prie beaucoup de toutes les façons. J’ai tout mon temps pour cela.

– Donc tu passes ta vie dans la Présence et à prier pour tous ! s’exclame Théophile.

– Tu as toujours su parler aux femmes toi ! Tu es un charmeur d’âmes ! le sermonne joyeusement Thérésa en riant.

– C’est très facile avec une âme pure et lumineuse comme la tienne. Il suffit juste de se baisser pour la cueillir.

– « Mignonne allons voir si la rose qui ce matin avait éclose … », chantonne Thérésa maline.

– Si tu le veux bien je vais te lire un chant du cœur.

« Vivre d’Amour, c’est offrir,
Sans rien demander.
C’est simplement aimer, toujours davantage,
Porté par cette flamme ardente.
Elle ne peut faiblir, et doit résister,
Contre vents et marées.

Cet Amour embellit une vie,
Il lui donne son vrai sens.
L’Amour attire l’Amour,
De belles âmes y sont sensibles,
Et elles contribuent ainsi à le propager,
A faire en sorte qu’il touche de plus en plus de cœurs
Prêts à le recevoir et à le vivre intensément.

Il transforme l’être, il attire la Grâce Divine
Et il déploie ses ailes, très haut dans le ciel
Où des Etres merveilleux l’accueillent avec bonheur.
Ainsi se crée la chaîne magique,
Celle de l’Amour victorieux. »

Anonyme

– Ces chants touchent directement l’âme. C’est un ravissement, murmure Thérésa sous le charme.

– Qu’as-tu ressenti pendant la lecture ?

– Je m’oubliais totalement. Je n’étais plus que gratitude, louange.

– Les anges exultent quand nous louons le Seigneur. L’amour est leur nourriture et c’est aussi le cas pour tes enfants, tes petits et arrière-petits-enfants quand ils reçoivent l’amour de ton cœur pur. Je vais te montrer quelque chose.

Avec beaucoup de douceur Théophile dit à Thérésa :
– Ferme les yeux veux-tu ? Je vais te montrer la trame de l’humanité, de la création et de l’effet de l’amour et des bénédictions qui passe par ton cœur.

Le beau visage de Thérésa s’illumine, ils restent très longtemps dans ce silence d’éternité, dans la communion des âmes.

Théophile l’Ancien
Extrait de Dialogues avec Théophile l’Ancien
Rencontre avec Thérésa