– Aujourd’hui, commence Théophile le Jeune, je voudrais te parler de mes doutes. Quand je suis avec toi, tout me paraît très facile : je plonge facilement dans le cœur et il me semble que je médite sans difficulté. Mais lorsque je suis seul c’est complètement différent : les pensées m’assaillent, j’ai parfois du mal à commencer la méditation, c’est difficile de rentrer à l’intérieur de soi et de s’abstraire du quotidien, de ses préoccupations. J’ai l’impression de forcer les choses, je dois y mettre toute ma volonté alors que cela se fait si naturellement quand nous sommes ensemble.

– Comme je te l’ai dit, répond l’Ancien, après ton initiation, tu as eu un aperçu du chemin que tu allais parcourir, mais c’est par ton travail spirituel que tu vas le réaliser. Cela prendra du temps, cela te demandera des efforts, de la rigueur et de la volonté. Il y aura des hauts, des très hauts et quelques bas pendant ta progression. C’est normal. Cela fait partie du chemin, chacun va le parcourir à son rythme et selon sa capacité, sa détermination aussi.
Nous pratiquons le raja-yoga, sa pratique est précise. Elle est guidée à la fois intérieurement et extérieurement. Elle est soutenue par la transmission, le nettoyage et surtout par un guide spirituel bienveillant et compétent.

– Tu m’as dit que cela prendrait sept ans pour commencer à être moins tributaires de tous ces petits « moi » liés à ma personnalité et à être plus en contact avec ce que je suis vraiment, à atteindre le Soi, à libérer l’expression de mon âme. Cela me paraît long, cette période est elle incontournable ? Peut-on aller plus vite ?

– Chacun reste libre d’écouter le Divin en lui, de suivre ses instructions. Actuellement nous lui résistons consciemment et inconsciemment. Les sept ans sont un minimum. Nous cheminons depuis de nombreuses vies en quête de l’Ultime, certaines vies ont été rebelles, d’autres dormantes. Cela peut prendre beaucoup, beaucoup plus longtemps que sept malheureuses années de travail spirituel et d’émerveillement. Mais tu le sais maintenant il y a aussi la voie directe : celle de l’amour.
Alors la réalisation peut se faire en un instant. Lalaji disait : « Tu tournes la tête d’ici à là et c’est fait. »

– Pourquoi ne pas prendre la voie de l’amour directement ?, interroge Théophile le Jeune.

– Elle est magnifique mais très exigeante.

– Pourtant c’est facile d’aimer ?

– Ce n’est pas si facile car il faut arriver à s’abandonner à l’Amour, se soumettre à l’Amour, s’effacer, s’oublier, respirer dans et par l’Amour… La beauté, le miracle, c’est la conversion de l’ordinaire en Amour. Elle peut se faire à n’importe quel stade de l’évolution spirituelle. C’est une grâce.

– Alors tu penses que c’est simple ou compliqué ?

– Les deux car l’Amour est simple et nous sommes compliqués.
L’Amour est purement divin. Généralement l’être humain a du mal à le laisser passer au travers de lui et le laisser aller là où il doit, car son ego veut s’en emparer, l’accaparer, le diriger, le maîtriser. C’est juste impossible.

– Mais alors que faire ? Comment ne pas tomber dans le piège de l’illusion d’aimer pour aimer vraiment ?
Est ce que la pratique spirituelle nous aide à y voir plus clair ?

– Tout à fait, la pratique prépare notre cœur en le purifiant puis en le nourrissant de transmission. Il accueille l’Amour Divin, le libère en nous. Quand nous progressons, notre être parvient à des degrés d’amour supérieurs, et pour finir, il aboutit à l’Amour Universel.

– Cela me plaît beaucoup, mais revenons à mes difficultés, reprend le jeune homme. Quand je suis seul, j’ai du mal à me concentrer et à faire le vide. Mon mental va dans tous les sens, parfois il me faut vingt minutes pour le calmer et réussir à m’immerger dans le cœur.

– C’est pour cela que je t’ai fait vivre chaque station de la région du cœur. Tu devras parfois les conquérir de haute lutte, combattant tes tendances rebelles. Le plus difficile est de quitter le premier point, celui des formatages, des habitudes liées à la sphère des désirs. Notre guide spirituel nous le fait franchir le plus rapidement possible pour que nous rentrions dans la sphère de l’âme et de la paix.

– Cela veut- il dire que les désirs sont maîtrisés ?

– Non cela veut dire que tu as traversé la frontière tenue par ton gardien du seuil, ton ego. Cela signifie aussi que ton âme va te soutenir pleinement et qu’elle te permettra de prendre du recul vis-à-vis de tes propres tendances et de tes désirs. Comme base, tu auras la paix et comme arme, l’amour premier.

– Et là c’est gagné ?

– Non, pas encore car tu dois acquérir le discernement lié au point 3.
Nous sommes régulièrement rattrapés par nos tendances, elles seront à juguler jusqu’au bout du chemin. Le seul moyen est que ton âme subjugue ton ego. Quand l’âme est associée à l’ego, que celui ci se met entièrement à son service, qu’il se confond avec elle au point de sembler avoir disparu, alors rien ne peut plus arrêter la progression spirituelle.

– Je croyais que notre ego était l’ennemi à éliminer ?

– Pas du tout, c’est un moteur fabuleux, mais il ne doit pas commander. C’est le travail du cœur. L’ego est un parfait exécutant.
Le Sahaj Marg est une voie héroïque et magnifique. La méditation est une discipline. Elle te permet de réguler ton mental. Nous ne cherchons pas à faire le vide mais à orienter le mental vers la lumière divine.

– Et quand des pensées perturbatrices surgissent ?

– Alors tu reviens vers le cœur et sa lumière, tu ignores les pensées qui viennent, sans les chasser mais sans les alimenter. Quand tu rejettes une pensée ou quoi que ce soit tu la renforces. Il ne faut pas lui donner de l’importance d’où l’idée « d’ignorer ».

– Cela revient donc au même que je pense à quelque chose ou que je me force à ne pas y penser ?

– Oui c’est ça, dans les deux cas tu alimentes le même concept. C’est pour cela qu’avant de commencer la méditation, on suggère que notre cœur se remplit d’amour. On se prépare mentalement, alors cette suggestion change tout, elle occupe tout l’espace du mental et les pensées perturbatrices n’ont plus de place. Lorsque tu es dans la dimension d’amour il n’y a plus besoin de se concentrer, tu es porté, la technique, les points, les régions semblent ne plus avoir d’importance. « Ça » médite en toi.

– Quand je suis en difficulté, la relaxation heartfulness m’aide beaucoup, j’entre plus facilement en méditation, puis-je la faire de manière systématique ?

– Tout ce qui t’aide est bon jusqu’au moment où tu n’en n’as plus besoin. Il en est de même pour la respiration : observer calmement sa respiration aide à réguler la pensée, mais une fois le mental en équilibre, toutes ces techniques ne sont plus nécessaires. Même la méditation ne sera plus utile à un moment donné. Ce jour là ta vie sera devenue « une méditation permanente ».

– Je crois que c’est encore bien loin, je suis tout au début du chemin. Je prends toutes les aides possibles. Qu’est ce que tu pourrais encore me conseiller ?

Babuji préconisait de méditer avant l’aube lorsque les forces de la Nature sont en équilibre. L’aube et sa non lumière de couleur grise sont propices pour parvenir à une méditation équilibrée.
Ce serait bien aussi de réserver un lieu uniquement pour la méditation en y préservant une vibration élevée.
La posture est droite mais sans rigidité. La tête se penche naturellement et légèrement vers le cœur. Les jambes, les mains sont croisées, ralentissant momentanément le flux vital pour favoriser l’énergie spirituelle. C’est comme pour la tortue, tout en nous semble vouloir rentrer vers l’intérieur et être absorbé par le cœur.
Ensuite, tu observes ton cœur : tu « es » l’observateur. Tu écoutes le silence divin qui l’habite.
La prière, elle,  nous connecte à la Source. Elle se déverse dans le cœur. Alors la méditation peut commencer, réelle, intense.
Quand c’est encore insuffisant, alors nous fixons notre esprit sur le but ultime, avec la ferme volonté de l’atteindre, la voie est tracée, la Source nous aspire en elle.

– Tu veux dire qu’il faut mettre son mental et son corps dans une condition propice à la méditation ? C’est une préparation, en quelque sorte ?

– Appelle cela comme tu veux, mais si tu veux vraiment atteindre l’infini en toi, ton esprit doit se fixer sur lui. Quand tu es concentré sur un sujet qui te passionne, tu oublies le temps, tu t’oublies toi-même, le sujet t’absorbe en entier. Voilà l’état d’esprit requis.

– Mais au quotidien, il y a tellement de sujets qui accaparent mon esprit que lorsque je me pose en méditation, ils m’assaillent aussitôt.

– D’où un entraînement rigoureux qui nécessite patience et temps, souvent plusieurs années.
Ensuite, tu seras capable de méditer n’importe où. Mieux encore, ta vie deviendra une méditation permanente dans laquelle ton esprit immobile sera immergé dans l’Océan.

– Pourquoi est-ce si facile avec toi ou dans un groupe de méditation ?

– C’est la transmission et la puissance de l’égrégore qui rend tout plus facile.

– J’en ai assez des questions et si nous méditions simplement ?

– D’accord, commence s’il te plaît …

Théophile l’Ancien
Extrait de Dialogues avec Théophile l’Ancien
L’initiation de Théophile le Jeune