Quand la chaude journée de juillet cède la place à la brise du soir, Théophile l’Ancien aime rendre visite à ses vieux amis, Abel et Marie. Aujourd’hui, pendant qu’Abel se repose encore dans la chambre voisine, Marie l’accueille et bavarde avec lui. Un long chemin spirituel les unit depuis longtemps dans une douce complicité. Leur conversation glisse insensiblement sur un sujet cher au cœur de Marie, la vie de Sainte Thérèse de Lisieux.

L’Ancien. – Qu’est-ce qui te touche en Thérèse de Lisieux ?

Marie. – J’adore quand Thérèse dit : « J’aime pour rien. » C’est toute sa mesure. Elle peut être petite, faible, désemparée même, mais aussi grande, inspirée, porteuse d’une très grande foi. Elle est confiante en Dieu, en Son amour et surtout, elle aime pour rien.

L’Ancien. – Que veux-tu dire exactement ?

Marie. – Elle donne l’impression que Dieu est là, accessible pour tous. Quand tu lis Saint Thomas d’Aquin et bien d’autres mystiques, ils te donnent la sensation que Dieu est réservé aux saints et aux anges. Quant aux autres … hé bien ! ils sont passés sous silence … Mais Thérèse nous dit que Dieu les aime tous. C’est pour cela que les humbles se sont reconnus en Thérèse de Lisieux. Elle ose dire : « J’aime pour rien. » Chacun de ses actes, aussi petits soient- ils, sont imprégnés d’amour.

L’Ancien. – Est-ce ce même « rien » dont nous parlait Jeanne Guyon ?

Marie. – Oui, elle a adopté la voie de l’oraison. Elle a lu intensément Saint Jean de la Croix qui prônait le « Rien », et « la simplicité de la présence de Dieu ».

L’Ancien. – Pourquoi est-elle si célèbre ?

Marie. – Elle a affirmé que Dieu nous aime tels que nous sommes, avec toutes nos faiblesses. Selon elle, il comprend et accepte les êtres tels qu’ils sont, en toutes circonstances. Elle ne voit que l’amour de Dieu, un amour pur, simple et sans artifices.

L’Ancien. – C’est ce que nous apprend la pratique Ho’oponopono ; nous voyons le monde comme nous sommes et si nous voyons du mal ou quelque chose qui nous dérange, le reflet ou la racine est en nous-mêmes. Il nous faut donc nettoyer les complexités et les mémoires erronées pour retrouver ce rien ou zéro infini qui libère l’amour. Je réalise seulement maintenant que c’est de cette manière que Thérèse et d’autres reclus contribuent à aider notre monde.

Marie. – Tout Juste, le feu de son amour la consumait ; telle une bougie, elle partageait sa lumière en irradiant le monde tout autour d’elle.

L’Ancien. – Et après tout ce temps, sa lumière continue à éclairer.

Marie. – Oui, quand elle a prononcé ses vœux, elle a dit : « Je passerai mon Ciel à faire du bien sur Terre. » et elle a tenu parole. Elle est l’intercesseur de ceux qui souffrent. Nombreux sont ceux qui prient Sainte Thérèse et qui sont exaucés.

L’Ancien. – Elle me fait penser aux bouddhas de compassion. Bouddha Gautama a dit qu’il reviendrait sur Terre tant qu’un seul humain ne serait pas libéré. Quel amour, quel sacrifice !

Marie. – Te souviens-tu de ce jour où nous parcourions à pied les trois kilomètres qui nous séparaient de l’ashram de Shahjahanpur et de la maison de Babuji ? En cours de route, la phrase de Thérèse de Lisieux m’est revenue : « Je passerai mon Ciel à faire le bien sur la Terre. » Dans mon cœur, elle s’est transformée en «  Je passerai mon bien à faire le Ciel sur la Terre. » Quand nous sommes arrivés, Babuji était occupé, mais il s’est tout de suite rendu compte de ce qui se passait en moi. Cette phrase, je la porte encore …

L’Ancien. – Comment pourrais-je oublier ce moment ?

Tous deux ferment les yeux et se plongent dans un profond silence où leurs cœurs se rejoignent.

Pendant ces minutes de communion intense, Abel a ouvert la porte et s’est approché en silence. Il leur sourit. Marie se lève et s’éclipse à son tour.

Abel. – Alors, tu es venu rendre visite aux deux ermites ?

L’Ancien. – Deux ermites au cœur de leur ville ! Tout comme ce maître soufi qui vendait ses fleurs sur le marché et qui était « seul (avec Dieu) au milieu de la foule ».

Abel. – … Seuls avec Dieu, au milieu de la ville et du monde, attendant ce jour béni des retrouvailles (avec Dieu).

L’Ancien. – Oui, mais Marie est une combattante.

Abel. – Marie a toujours eu ce « feu de Dieu », au sens propre comme au sens figuré. Elle souffre de la souffrance du monde et elle est prête à se sacrifier pour lui. Elle s’indigne tous les jours des misères que doivent vivre les êtres humains. Parfois, elle blâme les humains et parfois même Dieu.

L’Ancien. – Oui, mais c’est aussi une mère. Elle porte bien son prénom, Marie, le même que celui de la mère de Jésus Christ. Marie représente aussi la Mère divine. Tous sont ses enfants. Elle les aime et les accompagne durant leur séjour sur Terre et leur cheminement vers Dieu. Elle leur prodigue son amour, sa protection. Elle sait pourquoi ils souffrent, mais le cœur d’une mère est toujours tendre pour sa progéniture et elle l’aide par tous les moyens. C’est elle qui m’a transmis Ho’oponopono et je lui en suis très reconnaissant.

Abel. – Elle le pratique par moments. Elle s’abandonne à Dieu quand elle ne lutte pas fraternellement avec Lui. Ainsi, malgré l’âge, nous pouvons passer de l’abandon à la révolte.

L’Ancien. – Pourquoi pas, Dieu est un miroir. Il donne tout ce que nous voulons. Il est à la fois le père et la mère, le yin-yang, purusha et prakriti et tout ce que l’homme voudra bien lui conférer. D’où l’idée qu’il est ce Rien dont tout provient.

Abel. – La clef semble être l’abandon, mais comme Marie, j’ai du mal. Le feu est là pourtant. Que faire ?

L’Ancien. – Tourner ce feu vers le Divin plutôt que vers soi ou les hommes.

Abel. – C’est ce qu’a fait Thérèse de Lisieux.

L’Ancien. – Oui, elle est devenue un véritable modèle pour tous. Chacun de ses actes étaient empreints d’amour. Elle disait : « Quand je ramasse une aiguille, ce n’est rien, mais je la ramasse avec amour. »

Abel. – C’est très Zen. Les bouddhistes sont pleinement dans l’instant présent dans chacune de leurs actions. Ils cultivent aussi la compassion. « La compassion c’est de l’amour en action », disent-ils.

L’Ancien. – Thérèse ajoute à l’amour, l’humilité dans chacun de ses actes. Avec elle, l’ordinaire se transforme en extraordinaire. Le moindre geste, la moindre intention rappelle Dieu et elle donne cette impression que chacun peut y arriver; que c’est accessible à tous, tellement simple.

Abel. – Simple comme Dieu !

L’Ancien. – Les humbles peuvent se reconnaître en elle. Quand elle s’endormait de fatigue pendant l’oraison, elle disait : « Un petit enfant plaît autant à ses parents quand il dort que lorsqu’il est éveillé. » Elle est sûre de la compréhension de Dieu.

Abel. – C’est pour cela qu’elle est tant priée par tous.

L’Ancien. – Thérèse est un modèle d’amour innocent.
Je garde en mémoire ses vers, purs encouragements à la simplicité et à l’amour :

« Je n’ai plus d’autre office,
Je n’ai plus d’autre travail
Que d’aimer.
Vivre d’amour, c’est donner sans mesure !
Sans réclamer de salaire ici bas.
Je n’ai plus rien que ma seule richesse :
Vivre d’amour! »

« J’ai cherché la vérité. Et la connaissance de la vérité sur moi-même m’a donné l’humilité … Oui, j’ai compris l’humilité du cœur. »

Enfin, comme elle lui ressemble, sa disparition qu’elle annonce discrète et rayonnante :

« Si donc au pré commun
De ce jour nul ne me voit plus,
Nul ne me trouve plus,
Dites que je suis perdue
Et que m’en allant, toute pleine d’amour,
J’ai consenti à perdre, et j’ai gagné ! »

Les yeux d’Abel se sont fermés sur cette vision de béatitude. Théophile l’Ancien s’éloigne sans bruit.

Théophile l’Ancien
Extrait de Dialogues avec Théophile l’Ancien
Echanges avec Abel